Le service de pollinisation

En contribuant à favoriser les populations d'insectes pollinisateurs, les messicoles contribuent à une meilleure pollinisation des cultures même si aucune estimation n'a pu être réalisée. Et la survie de ces plantes entomophiles est aussi fortement contributaire d'une flore diversifiée.

Le rôle pollinisateur des messicoles est largement sous-estimé. Pourtant, il y a 50 ans encore le bleuet était une composante essentielle des miels "toutes fleurs". Les messicoles nectarifères sont nombreuses, même si elles n'ont pas toutes la notoriété du bleuet. On citera pour exemple Consolida regalis, Odontites vernus, Sinapis arvensis, Sinapis alba, ou Vicia villosa (Loussot, 2006). Une étude des scientifiques Ostler et Harper (1978) sur le sol américain montre une corrélation directe entre la diversité floristique et la diversité en pollinisateurs. Or la communauté des pollinisateurs engendre de grands bénéfices pour la conservation végétale en assurant la reproduction de 80 % des espèces. Elle est aussi nécessaire à de nombreuses productions agricoles comme le tournesol, des protéagineux, de nombreux légumes et porte-graines (production de semences), des légumineuses fourragères et des arbres fruitiers (Pointereau et al., 2002).

La grande majorité des plantes messicoles sont pollinisées par les insectes et sont productrices de pollen ou de nectar et donc sont attractives pour les insectes pollinisateurs : abeilles domestiques, abeilles et bourdons sauvages, syrphes. Leur présence dans les champs cultivés et notamment dans les céréales à paille, à coté des autres espèces à fleurs présentes dans les haies et les prairies contribuent donc au maintien des populations de l'abeille domestique et des pollinisateurs sauvages. Le maintien d'une population diversifié de pollinisateurs influe indirectement sur les rendements des cultures pollinisées par les insectes. Leur présence est aussi indispensable au maintien de la flore sauvage et donc aux plantes messicoles.

L'absence de pollinisateurs réduit de façon drastique le rendement des cultures de 70 % en moyenne sur le colza et de 50 % en moyenne sur le tournesol comme le montre les travaux menés par Vincent Bretagnolle du CNRS de Chizé. Ces résultats valent aussi pour le rendement en graines du bleuet. La manipulation consiste à ensacher des fleurs pour empêcher les pollinisateurs d'accéder à la fleur.

Les travaux récents montrent l'importance des abeilles sauvages.

Une étude anglaise montre qu'en Grande-Bretagne la contribution des abeilles domestiques ne représente pas plus d'un tiers de l'activité de pollinisation. Les abeilles sauvages et les bourdons jouent un rôle important dans les périodes prolongées de mauvais temps notamment pour les arbres fruitiers. Ils sont de bien meilleurs vecteurs de pollen que les abeilles domestiques pour la pollinisation du cerisier et du colza.

Le principal garant d'une pollinisation efficace des plantes sauvages et cultivées est donc l'association entre abeilles sauvages et domestiques. La diversité florale revêt une importance déterminante sur la diversité des abeilles sauvages car près de la moitié des espèces d'Europe centrale récoltent du pollen à partir d'un seul genre ou d'une seule famille de plantes. Les abeilles sauvages ont besoin d'une quantité importante de pollen pour nourrir leurs larves. Il est aussi important que la distance entre les nids et les ressources ne soit pas trop grande (1 500 mètres maxi sachant qu'au-delà de 300 mètres du nid, le nombre d'abeilles diminue de 50 à 70 %). Le maintien des abeilles sauvages nécessite donc le maintien d'une flore diversifiée et proche des cultures si on souhaite qu'elles contribuent à la pollinisation de celles-ci.

En ce sens, le maintien des plantes messicoles dans les cultures ou l'implantation de bandes fleuries constitue un atout majeur. Anderson (Andersen, G.K.S and Al . Organic farming improves pollination sucess in strawberries. Plos One, 2012.) a ainsi constaté une meilleure réussite de la pollinisation dans les cultures de fraises en agriculture biologique versus conventionnelle du fait d'une abondance de la flore et d'une diversité des abeilles sauvages plus importantes.

L'importance de la pollinisation sur le rendement des cultures

Une plus grande abondance et diversité des insectes pollinisateurs améliore les rendements des cultures pollinisées par les insectes. C'est le résultat d'un grand programme de recherche co-signé par l'INRA d'Avignon et coordonné sur plusieurs continents (Afrique, Asie et Amérique Latine) durant 5 années (2010 à 2014), sur 33 cultures (café, colza, pommier, tournesol, …) et 344 champs. Pour chaque culture il a été déterminé un rendement atteignable (le 10ème percentile des rendements les plus élevés observés atteint sur une dizaine de parcelles) et un rendement faible (le 10ème percentile des rendements les plus faibles observés).

Il a été ainsi calculé pour les cultures étudiées une marge moyenne de rendement de 53 % (soit par exemple, pour un rendement atteignable de 5 tonnes/ha, une marge moyenne de 2,65 tonnes/ha). Dans chaque champ, les insectes pollinisateurs ont été déterminés et comptés. Le résultat est que la densité des pollinisateurs est le premier facteur explicatif du rendement, devant le niveau d'intensification, l'isolement de la parcelle, la distance aux habitats semi-naturels, la taille de la parcelle.

Au final, la densité en insectes pollinisateurs seule pourrait permettre en moyenne de gagner 31 % de cette marge de rendement dans les petites parcelles (inférieurs à 2 ha) alors que dans les grandes parcelles (supérieures à 2 ha) la diversité des pollinisateurs (au moins 3 espèces différentes) est aussi nécessaire.

Pour les cultures pollinisées par les insectes, les pollinisateurs sont donc un facteur majeur de production à côté des autres facteurs comme les engrais, l'irrigation ou les semences.

L'enjeu est d'autant plus fort que sur la planète, les cultures pollinisées par les insectes se développent plus vite que les autres types de culture et aussi que le cheptel de colonies d'abeilles domestiques. De plus les produits issus de ces plantes sont beaucoup plus riches en micronutriments. Maintenir et accroître les populations de pollinisateurs sauvages est donc devenu un enjeu majeur.

La densité d'insectes pollinisateurs a varié en moyenne de 2,5 à 5,5 visites pour 100 fleurs en comptage instantané (soit une différence de 50 %) entre la classe des rendements les plus faibles et celle des rendements les plus élevés avec une relation linéaire entre le nombre de fleurs visitées et l'accroissement du rendement.

Cette étude a montré que la diversité de la faune pollinisatrice, qui a varié de 1 à 11 dans cette étude, était largement influencée par la taille de la parcelle.  Elle a montré aussi les effets synergiques de la présence de différentes espèces d'insectes pollinisateurs et en particulier des pollinisateurs sauvages qui viennent compléter l'action des abeilles domestiques.

Parmi les actions proposées pour améliorer la présence de pollinisateurs : la mise en place de bandes fleuries, la plantation de haies et autres habitats semis-naturels, et une meilleure utilisation des pesticides.

Source :  L.A . Garibaldi and al . Mutually beneficial pollinator diversity and crop yield outcomes in small and larges farms. Sciences – 22 january 2016 – Vol 351 ISSUE 6271 pages 388-391

LE SERVICE de pollinisation est assuré par un nombre réduit d'espèces

Si la diversité des pollinisateurs est toujours favorable à la production de graines ou de fruits, une étude internationale montre qu'un nombre restreint de pollinisateurs assure l'essentiel du service de pollinisation des cultures pollinisées par les insectes.

Ainsi, 2 % des espèces de pollinisateurs présents dans une région donnée assurent 80 % des visites de fleurs. Ces espèces sont généralement communes et abondantes. Les espèces pollinisatrices observées sur les cultures ne représentent que 12,6 % des espèces totales d'une région. Il est possible d'augmenter facilement par un facteur 3,2 l'abondance de ces espèces dominantes par des pratiques agroécologiques telles que l'agriculture biologique, les implantations de bordures fleuries ou de bandes enherbées.

Mais cette étude a montré que ces mesures agroécologiques ne suffisent pas pour protéger les espèces les moins communes dont 44 % sont menacés. Pour cela, il est indispensable de maintenir un pourcentage élevé d'habitats semi-naturels dans le paysage.

Ainsi, le maintien des services écologiques comme la pollinisation n'est pas forcément synonyme de maintien de la biodiversité.

Cette étude internationale a synthétisé 90 études portant sur 1 394 parcelles agricoles qui ont collecté 73.649 individus appartenant à 785 espèces de pollinisateurs.

Source : David Kleijn et Al. 2015. « Delivery of crop pollination services is an insufficient argument for wild pollination conservation » - Nature Communication – DOI : 10.1038

L'importance des Messicoles dans les ressources en pollen et nectar

L'étude anglaise citée précédemment montre que ceux ne sont pas des plantes messicoles qui assurent l'essentiel de la ressource en nectar tout simplement du fait de leur faible représentativité à l'échelle du territoire. Mais cela ne veut pas dire que là où elles sont bien représentées, elles ne sont pas une ressource intéressante.

Les céréales cultivées étant des monocotylédones, les herbicides utilisés font disparaître les dicotylédones donc beaucoup de plantes nectarifères et pollenifères. Paradoxalement, ces traitements favorisent d'autres “ mauvaises herbes ” monocotylédones dont les “ chiendents ” (Elymus campestris) et les “ jouets du vent ” (Apera spica-venti) sont les plus connues. Parmi les dicotylédones, certaines ombellifères invasives “ se tirent d'affaire ” car elles sont devenues résistantes.

Le bleuet (Centaurea cyanus) et les coquelicots (Papaver rhœas) sont probablement les messicoles les plus connues de tous. Comme toutes les centaurées, le bleuet est extrêmement nectarifère. Sa floraison, entre juin et août, en faisait, il y a encore 50 ans une des composantes essentielles des miels “ toutes fleurs ” d'été. Les coquelicots, comme toutes les papavéracées ne sont pas nectarifères. Les abeilles, les visitent intensément pour y prélever du pollen.

Parmi les autres plantes messicoles d'importance pour la production de nectar on peut citer : les pieds d'alouette (Consolida regalis, …), la linaire des champs (Linaria arvensis), la gesse tubéreuse (Lathyrus tuberosus), le mélampyre des champs (Melampyrum arvense), l'épiaire annuelle (Stachys annua).

Le coquelicot constitue une ressource très importante en pollen pour les abeilles domestiques entre la floraison du colza en mai et la floraison du tournesol en juillet, à une période où les ressources sont peu abondantes. Il produit en effet un pollen de toute première qualité, tellement attractif que la fleur n'a même pas besoin de produire de nectar (espèce uniquement pollinifère) pour attirer les insectes pour sa pollinisation. Autre preuve de sa grande attractivité : les abeilles débordent parfois largement de leur aire "classique" de 3 km de rayon pour aller récolter du pollen de coquelicot. A noter que le coquelicot, plante auto-incompatible a besoin d'une fécondation croisée pour assurer une production de graines.

La forte présence de lipides (3 %) dans le pollen du coquelicot explique certainement la forte attractivité de celui-ci. Le pollen de coquelicot est classé de qualité moyenne de par sa teneur en protéines et du type d'acides aminés présents par le Nutritional Value of Bee Collected Pollens, rapport pour Rural Industries Research and Development Corporation.

Des profils polliniques réalisés par Bio de Provence-Alpes-Côte d'Azur dans le cadre du « Casdar Messicoles » montrent clairement l'importance du pollen de coquelicot durant le mois de juin. Il constitue à cette période la première ressource pollinique pour les abeilles domestiques dans la région de Forcalquier. Il devance le pollen de colza (moutarde) et le mélilot, et précède le sainfoin qui va devenir la ressource dominante en juillet.

Le cas du bleuet et sa contribution à la production de nectar

"Les qualités nectarifères floraux et extra-floraux du bleuet sont reconnues (Denisow 2006 :Blooming and pollen production of several representatives of the genus Centaurea L, Journal of Apicultural Science, 50:13–20). Le bleuet était, il y a une cinquantaine d'année, une composante essentielle des miels « toutes fleurs » d'été (Schweitzer 2004). Son nectar est aussi attractif pour de nombreux diptères (dont des syrphes), coléoptères et fourmis (Nentwig 1992) et parasitoïdes (Géneau, Wäckers FL, Luka H, Daniel C, Balmer O 2012 : Selective flowers to enhance biological control of cabbage pests by Parasitoids, Basic and Applied Ecology, 13:85–93). Ses nectaires extra floraux prolongent la production de nectar par la plante, avant et après floraison (Géneau et al 2012). Requier et al (2012 Requier F, Odoux JF, Tamic T, Feuillet D, Henry M, Aupinel P, Decourtye A, Bretagnolle, V. (2012) Dynamique  temporelle de la sélection alimentaire chez l'abeille domestique (Apis mellifera L.) en paysage agricole. Colloque Polinov (ed Prodinra). Poitiers, France) ont montré que le pollen de bleuet contribue significativement à l'alimentation des abeilles domestiques dans la plaine niortaise : les récoltes de pollen peuvent dépasser 25 % du butin journalier. Il est préféré par les bourdons dans les mélanges floraux (Roscoe et Irvin, 2010 Roscoe A, Irvin S 2010 : Flower constancy and efficiency of nectar foraging by the red-tailed bumblebee Bombus lapidarius (Hymenoptera: apidae). British Journal of Entomology and Natural History, 23,161-166.).

 

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