Mélanges prairiaux
LA DÉMARCHE
Des associations d'espèces complémentaires dans les prairies
En 1989, 9 hectares étaient encore consacrés à la production de céréales autoconsommées. Face au manque récurrent de foin, Pierre et Danielle Jauzion ont opté pour un arrêt des céréales. « Un kilogramme d'orge reste un kilogramme d'orge, alors qu'il est compliqué et onéreux de trouver un foin de qualité ».
Dans le choix de la constitution de leurs associations, les éleveurs visent un double objectif : des espèces bien adaptées au contexte pédoclimatique et parcellaire pour assurer une bonne production d'herbe dans la durée (à destination fauche ou pâture), et un mélange équilibré pour satisfaire les besoins alimentaires du troupeau. Avec la mise en route du séchoir, se greffe une troisième orientation : le choix d'espèces bien adaptées à ce mode de séchage et des compositions pour la fauche qui puissent fournir une ration homogène tout au long de l'année. Une cellule est en effet consacrée à la luzerne, qui constitue les deux tiers de la ration (2 kg/j), et une autre cellule aux associations graminée + légumineuse.
La luzerne, riche en azote, est ainsi complétée par des espèces plus riches en énergie, qui équilibrent ainsi la ration sur le plan énergétique.
Les fourrages produits sur l'exploitation sont complétés par des achats de matières premières, maïs, orge et avoine (donnée durant la période de lutte de juin à août), ainsi que des concentrés.
LES SAVOIRS AGROÉCOLOGIQUES
Des tests successifs, des tâtonnements, ont permis de définir plusieurs types d'associations (qui ne sont pas toutes systématiquement présentes dans l'assolement chaque année), et dont certaines sont encore en cours d'expérimentation. Les prairies temporaires restent en place 4 à 5 ans, pour éviter leur catégorisation en prairies naturelles.
Graminées et légumineuses sont associées, à la fois pour les intérêts agronomiques (fixation de l'azote de l'air par la légumineuse) et alimentaires (PDIN-protéines digestibles permises par l'azote) du mélange.
La luzerne est la plante reine sur l'exploitation - photo : C. Milou/Solagro |
Associations pâturées
Les brebis sont sorties de mi-février à mi-novembre, avec une durée de sortie progressive et dès que les sols sont jugés suffisamment portants.
Trèfle blanc nain (5 kg/ha) + ray-grass anglais (25 à 30 kg/ha)
Le choix d'un trèfle nain permet d'en limiter la pâture, sa petite taille le rendant moins facilement accessible aux animaux, ce qui évite les accidents de météorisation. Il permet d'accroître la production laitière.
Le ray-grass anglais a pris la place du ray-grass Italien, jugé trop onéreux en raison d'un semis à renouveler chaque année, et parce qu'il n'offrait pas une portance suffisante en début de pâturage. Le ray-grass anglais est ainsi privilégié pour sa durée de vie (il peut rester jusqu'à 4-5 ans dans la parcelle), mais aussi pour sa capacité de tallage et son réseau racinaire qui offrent une bonne résistance au piétinement lors de la sortie des brebis dès mi-février.
Fétuque (20 kg) + lotier (6 à 7 kg) : Pierre Jauzion teste actuellement l'intérêt de cette association pour la pâture dans une petite parcelle.
Associations fauchées puis pâturées
Ces associations sont généralement fauchées deux fois, puis mises en pâture, pour une durée fonction de leur composition (des précautions sont prises avec les espèces météorisantes).
Luzerne (15kg/ha) + dactyle (7-8 kg/ha)
Lorsque la luzerne arrive en fin de production, le dactyle prend le dessus et permet deux à trois ans de pâture après un grattage léger au vibroculteur qui relance sa croissance. Il offre en outre une bonne portance.
Luzerne (15 à 20 kg/ha) + brome (25 à 30 kg/ha)
Le brome représente un bon complément pour la luzerne en raison de sa richesse en énergie (PDIE). Il peut rester en place jusqu'à 5-6 ans. La variété Bellegarde qui était jugée intéressante pour sa résistance à la sécheresse a été remplacée par la variété Ombel car elle n'est plus proposée dans les catalogues du semencier (RAGT). Le brome demeure appétent pour les brebis même monté en graine (graines charbonneuses riches en « sucres »). L'espèce s'est également montrée résistante à la sécheresse.
Assez agressif, le brome ne peut pas être associé avec succès avec toutes les espèces. Un test brome+sainfoin s'est montré ainsi peu concluant.
Trèfle violet (10 kg/ha) + sainfoin double en cosse (60 à 70 kg/ha lorsqu'il est associé, sinon 130 kg/ha seul).
Deux types de sainfoin ont été testés : le sainfoin simple et le sainfoin double. Le sainfoin simple est adapté à la pâture ; le double peut assurer deux coupes ou une période de pâture et une coupe (il fleurit plusieurs fois dans l'année qui suit le semis). Le mélange trèfle violet + sainfoin double est prévu pour la fauche, mais il peut occasionnellement servir aussi de pâture.
Le sainfoin supporte bien les sols séchants et calcaires. Il est aussi intéressant pour sa richesse en sucres, et ses faibles effets de météorisation.
Il contient également des tanins qui protègent les animaux d'un excès azoté dans leur alimentation et qui limitent également les risques d'infestation par les parasites internes comme les strongles(1).
Enfin, le sainfoin évite au mélange d'être trop dense, ce qui facilite le séchage du trèfle, sinon trop épais et compact pour sécher convenablement. Le sainfoin est semé en deux passages croisés pour lui permettre de bien occuper le sol.
(1) Propriétés anthelminthiques du sainfoin (Onobrychis viciifoliae) : Analyse des facteurs de variations et du rôle des composés phénoliques impliqués (thèse), Foteini MANOLARAKI, 2011, page 52.
Luzerne (15 kg/ha) + avoine (50 kg/ha)
Cette association occasionnelle est réservée aux parcelles qui ont été gagnées par des adventices. La luzerne, du fait de son pouvoir couvrant, étouffe les adventices (notamment rumex et chardons). L'action nettoyante est renforcée par les propriétés allélopathiques de l'avoine. Enfin, ces deux plantes restructurent bien le sol grâce à leurs systèmes racinaires complémentaires, pivot puissant pour la luzerne et racines fasciculées de l'avoine. Cette dernière facilite l'implantation de la luzerne lorsque le sol est tassé (après piétinement des brebis lors du pâturage par exemple).
Pour les parcelles prévues en luzerne pure, et semée alors à 20 kg/ha, de l'avoine est rajoutée au semis. Le système racinaire fasciculé de l'avoine facilite en effet l'implantation de la luzerne. Puis l'avoine disparaît progressivement du mélange.
Implantation
Au vu de l'importance majeure de la luzerne sur l'exploitation, et de la volonté de ne plus utiliser de produits phytosanitaires, l'implantation de luzerne est sécurisée par un labour (réalisé à l'automne). Cette intervention permet également d'enfouir le fumier apporté au préalable. Le labour est repris avec une herse vibrante en sortie d'hiver, puis le semis intervient au printemps avec un semoir en ligne à socs.
Les associations sans luzerne sont implantées suite à un travail superficiel du sol. Deux passages de vibroculteur permettent d'éliminer la prairie précédente et d'ameublir le sol qui sera ensuite nivelé par un passage de herse vibrante.
Pierre Jauzion expérimente également le semis direct pour le sursemis et ressemis de prairies : cf « difficultés et pistes de réflexion ».
Fertilisation
Le parcellaire regroupé de l'exploitation facilite l'apport de fumier sur toutes les parcelles. A minima, une parcelle reçoit 15 à 20 tonnes de fumier tous les 4 ans. Les apports sont privilégiés sur les implantations de luzerne.
Les apports d'engrais minéraux sont modérés et apportés lors de la phase de croissance des graminées, au début du printemps. Les ray-grass anglais reçoivent ainsi 40 unités/ha d'ammonitrate soufrée, le brome, plus gourmand en azote, en reçoit 80.
Les apports de fumier sont privilégiés sur les implantations de luzerne - Photo : C. Milou/Solagro |
Difficultés et pistes de réflexion
Un premier test de sursemis a été réalisé en semis direct (avec le semoir Séméato d'un voisin) avec un mélange de trèfle violet, trèfle blanc géant, sainfoin, RGA, fétuque. Mais la levée n'a pas satisfait Pierre Jauzion (seul le trèfle violet a levé), qui va poursuivre ses essais.
De plus, la réussite ou non des essais d'associations est très liée à la météorologie de l'année : « J'ai un mélange en tête, je l'essaye mais ensuite la météo fait le reste »
Certaines variétés ou espèces qui intéressent les éleveurs ne sont pas toujours faciles à trouver. Aussi, ces derniers s'intéressent de plus en plus aux semences paysannes (via la Maison de la semence AVEM notamment).
INTÉRÊTS DU POINT DE VUE DE L'AGRICULTEUR
Economiques |
Agronomiques |
Environnementaux |
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Pas d'utilisation de produits phytosanitaires
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Social : Attrait pour l'expérimentation de nouvelles associations (intérêt métier) |