Hubert Compère Agriculteur - Aisne
Agriculteur dans l'Aisne, il cultive 168 hectares en blé tendre, orge d'hiver et de printemps, betterave sucrière mais aussi en colza, orge, pois et fèverole
Démarche
Les bandes enherbées ont été implantées dans les années 90 pour limiter l'érosion et les coulées de boues. J'ai arrêté le labour il y a 15 ans et depuis je n'ai plus de problème d'érosion. Ensuite, elles sont devenues des bandes à gibier pour être aujourd'hui des bandes à biodiversité.
Je ne travaille pas que sur la LBCGH mais aussi sur la diminution de produits phytosanitaires (MAE de réduction de 50 % des phytosanitaires hors herbicides), le non-labour et le maintien de CIPAN . La démarche a été progressive, après des observations il y a 7-8 ans, j'ai pris conscience de l'action des hyménoptères parasitoïdes et arrêté les insecticides systématiques sur blé tendre. Ensuite, j'ai cherché à détecter les seuils de nuisibilité de manière très subtile.
Changement de pratiques
Par exemple, pour le blé tendre, décaler la date de semis au 15-30 octobre (au lieu du 30 septembre) me permet d'éviter le risque puceron à l'automne, mais aussi d'avoir moins d' adventices et de diminuer les risques de maladies (rouille jaune et septoriose). Il faut noter que semer au 15 octobre représente un risque de débit de chantier si le temps devient pluvieux.
La succession pois/féverole puis blé a été remplacée par protéagineux puis colza, car j'ai pu constaté que quand il y a trop d'azote au départ, le risque de maladie sur blé augmente.
J'ai travaillé pendant 3 ans sur les parasitoïdes du méligèthes du colza en collaboration avec une entreprise de produits phytosanitaires. Ma ferme était un support d'expérimentation. Le but était de connaître l'impact des insecticides contre ces parasitoïdes et mettre au point un insecticide efficace sur méligèthes et sélectif de la faune auxiliaire. L'entreprise me financer pour poser les pièges et faire les relevés, ensuite en entomologue continuait le travail.
J'investis beaucoup dans l'observation, l'idéal pour observer les parasitoïdes c'est un temps ensoleillé. L'observation se fait surtout à certaines périodes comme pendant la floraison où je consacre environ 2 h tous les 3 jours. Cet été, je n'ai pas bien observé les limaces, et ça m'a coûté le semis de colza.
Implantation d'IAE
En plus de l'existant, j'ai semé des bandes enherbées intra-parcellaires de fétuque-dactyle : 3 bandes de 5 m sur un plateau de 40 ha. Concernant l'entretien, je ne les broie plus depuis 10 ans, mais cette année à cause du problème des mulots et surmulots je vais devoir rebroyer. Les rapaces ne sont pas suffisants pour ces populations pullulantes. En plus des bandes enherbées intra-parcellaires, j'ai toutes les bordures de chemin qui ne sont pas broyées, soit 1 à 1,2 m sans culture, avec replantation de buissons (cornouillers), je vais y replanter en plus des saules et des aubépines. Les talus sont aussi boisés avec des pruneliers par exemple qui ont des fleurs précoces.
Résultats
Je n'utilise plus d'insecticides.
En 2014 : le seuil de féverole bruchée à la récolte (3 %) était inférieur à celui de collègues qui font 2 insecticides contre la bruche de la féverole (certains à 30 %). Par ailleurs, sur la féverole j'ai eu des pucerons noirs l'année dernière sur une ou deux plantes, mais j'ai constaté qu'il y avait aussi des larves de chrysopes tout autour des foyers de pucerons, et elles ont permit d'éviter l'extension du puceron noir dans la féverole.
Jusque dans les années 1995, il y avait de grosses infestations de pucerons sur blé tendre. Aujourd'hui, j'ai de réels résultats sur blé tendre grâce aux ennemis naturels: je capture avec le filet fauchoir à hauteur des épis, je mets les insectes dans un sac plastique transparent et je regarde ce qu'il y a entre les pucerons ailés et les autres ; de manière générale, il y a toujours ce qu'il faut pour contenir le développement du puceron, j'observe d'ailleurs beaucoup de pucerons momifiés.
Après le blé, je sème un colza sans labour et peut être que le colza en apportant du miellat permet le développement des hyménoptères parasitoïdes des pucerons du blé.
Sur mes parcelles, il y a énormément de syrphes différents, tous les 15 jours c'est une nouvelle espèce qui domine.
Par contre, j'ai beaucoup moins de coccinelles qu'avant, car c'est une espèce qui explose quand il y a beaucoup de nourriture, et ici le travail des autres ennemis naturels fait qu'il n'y a pas explosion de pucerons et donc de coccinelle.
Difficultés rencontrées
Mon défi c'est de planter des espèces qui fleurissent car l'herbe ne suffit plus, il faut implanter des plantes pour nourrir les abeilles et les hyménoptères tout au long de l'année en dehors des périodes de floraison du colza puis de la féverole. J'ai essayé le mélilot mais il faut le ressemer souvent et en plus il ne fleurit qu'une année sur deux car c'est une bisannuelle. Aujourd'hui j'ai besoin de savoir quelle espèce d'arbres/buissons à fleurs choisir et comment les insérer sur la bande enherbée. On manque de connaissance là-dessus et sur toute l'entomologie agricole. En plus, par le passé, des erreurs ont été commises par manque de connaissances : par exemple, la mise en place de bâches plastiques de protection aux pieds des buissons de haie, les larves qui tombent au sol pour se nymphoser sur une bâche plastique sont vulnérables au soleil et aux carabes sans protection végétales.
Je pense planter des troènes, des cornouillers et des saules pour produire du nectar et du pollen pour les abeilles qui sont la partie visible, mais aussi pour les hyménoptères.
La moutarde brune en engrais vert permet également de nourrir les hyménoptères à partir de fin septembre.