Eddy Dumbardon-Martial conseiller agricole spécialisé dans la protection des cultures et dans la biodiversité agricole à la FREDON de Martinique
Eddy Dumbardon-Martial est conseiller agricole spécialisé dans la protection des cultures et dans la biodiversité agricole à la FREDON[1] de Martinique. Dans le domaine de l'arboriculture fruitière, il assure la conduite d'études visant à développer et adapter des systèmes de culture visant à réduire l'usage des produits phytosanitaires. [1] Fédération Régionale de Défense contre les Organismes Nuisibles
La démarche
En 2008-2009, au cours d'une de ses prospections, Eddy a découvert qu'un arboriculteur avait introduit des moutons dans son verger d'agrumes pour maîtriser l'enherbement. Du fait de l'hygrométrie et des températures élevées propres aux régions tropicales humides qui favorisent la pousse rapide de l'herbe toute l'année, la maîtrise de l'enherbement est un poste majeur dans la gestion des cultures. Classiquement, le désherbage des vergers est réalisé le plus souvent par 4 à 6 interventions chimiques par an (en fonction des périodes pluvieuses) ou par un désherbage mécanique par mois (à la débroussailleuse). Ainsi, il a organisé une journée technique chez cet arboriculteur qui a réuni une vingtaine d'agriculteurs. Cette rencontre a permis des échanges très riches notamment sur le choix des espèces et des races à introduire et les avantages que chacune d'entre-elles pouvait représenter. A l'issu de cette journée, il en est ressorti que l'élevage ovin ; même s'il peut être associé à l'arboriculture fruitière pour une maîtrise de l'enherbement, nécessite une certaine technicité. Les participants ont donc fait la proposition d'associer aux vergers une production de petits animaux à priori plus accessible à la majorité des agriculteurs. Le choix s'est donc orienté vers les volailles en fonction de la disponibilité des élevages en Martinique (poulets, oies, canards et pintades).
Eddy a donc proposé avec une collègue (Anaïs Lavigne) l'année suivante une action financée par les fonds européens afin de mener des expérimentations permettant d'étudier le système évoqué.
Cette pratique est anecdotique sur l'île de la Martinique. Sur les 4 agriculteurs qui ont participé au projet, seuls 2 ont poursuivi et maintenu le système. Toutefois, historiquement il s'agissait du format traditionnel des « jardins créoles » qui associait les cultures de rente, maraîchères et au moins un élevage (poules/moutons…).
Cette pratique est-elle adaptée à toutes les cultures/élevages ?
Non, car le choix des espèces et de la race à introduire est important. A titre d'exemple, les caprins ont un comportement différent des ovins puisqu'ils prennent appui sur l'arbre pour se nourrir des feuilles. Par ailleurs, entre les volailles, il y a également des différences avérées puisque les poulets consomment peu d'herbe car ils ont une alimentation variée devant être complétée (maïs concassé) et nécessitent un suivi vétérinaire plus important (vermifuge), et restent à proximité des bâtiments. Les oies sont intéressantes parce qu'elles sont essentiellement herbivores, et sont plus rustiques et donc plus adaptées pour l'expérimentation à réaliser.
Les vergers dans lesquels cette technique a été expérimentée sont des vergers de goyaves et d'agrumes, conduits en agriculture conventionnelle. Toutefois, le verger de goyaves est rustique. Il ne reçoit aucun acaricide ni insecticide, ni fongicide, ni herbicide pour ceux ayant testé l'introduction d'animaux.
Atouts et freins au développement de la pratique
L'atout principal concerne la maîtrise de l'enherbement par la volaille (notamment les oies) qui permet de réduire de façon significative l'utilisation d'herbicides.
Un autre atout réside dans le gain de temps et la moindre pénibilité pour l'agriculteur en comparaison du temps passé à désherber de façon mécanique (débroussailleuse) sur des parcelles souvent en pente (et non mécanisable).
Cette pratique permet aussi d'optimiser le foncier agricole, par une meilleure rentabilité sur une même surface via notamment la valorisation de l'élevage (viande et/ou œufs).
Si l'incidence de l'élevage des volailles sur l'état sanitaire des vergers associés n'a pas été constatée, il est possible que les oies et les poulets contribuent à réduire les populations des mouches des fruits en consommant les fruits tombés au sol. En revanche, je ne pense pas que ce type de système de production ait réellement une indécence directe ou indirecte sur le contrôle des problèmes sanitaires majeurs des arbres fruitiers.
Le bilan économique de l'association permet de mettre en lumière les points suivants :
- Une réduction du coût des techniques classiques de désherbage par hectare (désherbage chimique et mécanique) : 200 € à 300 € / an au lieu de 1 100 € à 2 200 €.
- Un investissement de départ s'élevant à 5 000 €/ha. Cet investissement peut être réduit en fonction des équipements et des matériaux choisis.
- Une marge nette annuelle par hectare (valeurs pour 1000 individus/ha) variable selon les animaux : 12 000 € pour les poulets, -200 € à - 600 € pour les oies.
Contrairement aux poulets dont la viande peut être facilement valorisable, il n'existe pas localement de marcher pour celle des oies. Dans ce cas, ces dernières ne peuvent servir qu'au contrôle de l'enherbement en les gardant plusieurs années.
Une des limites est l'acceptation du changement des pratiques car ici le désherbage chimique reste le plus utilisé même s'il existe une tendance certaine « au tout mécanique » dans les vergers. Mais il est vrai que le passage à ce système de production nécessite une technicité garantissant une maîtrise de la production végétale et animale.
Une autre limite serait l'investissement que ce choix représente. Nous l'avons évalué à 5 000 €/ha en intégrant les frais liés à l'achat de matériel (piquets, système d'électrification, les fils, les abreuvoirs, les mangeoires) et à l'achat d'animaux (animaux, frais vétérinaires…). Ainsi, les agriculteurs seraient intéressés mais il n'y a pas de moyens incitatifs mis en place au niveau des organisations de producteurs (OP).
La mise en place de cette pratique nécessite également un accompagnement très régulier chez l'agriculteur avec des phases de diagnostic pour réajuster le système au besoin. Par exemple, chez un des agriculteurs ayant expérimenté cette pratique, le couvert spontané des vergers présentait au départ beaucoup d'herbes lianescentes de la famille de Convolvulacea qui étaient peu appétentes pour les oies introduites. De plus, les oies introduites étaient âgées et donc peu habituées à consommer de l'herbe. Enfin, les abreuvoirs ayant été toujours situés en aval des vergers, les oies opéraient le même trajet régulier et ne prospectaient pas l'ensemble du verger à disposition. Ainsi, une préconisation consiste à bien préparer et réfléchir le terrain avant l'installation de l'élevage.
Le phénomène d'écorçage peut être évoqué pour des vergers dans lesquels des ovins sont introduits traduisant alors un manque dans l'alimentation proposée. On conseille donc de disposer par exemple des pierres à lécher riches en minéraux pour pallier à ce problème. Les rotations doivent aussi être adaptées afin que les animaux n'aient pas le temps de se nourrir des écorces.
Les oies ne causent pas d'écorçage sur les troncs des arbres âgés, en revanche elles peuvent être à l'origine de dégâts sur de jeunes arbres.
De plus, il existe dans certaines zones en Martinique, une pollution des sols par la chlordécone, insecticide largement utilisé autrefois pour lutter contre le charançon du bananier. Bien qu'interdit depuis 1993, la molécule reste très persistante dans certains sols. Ainsi, via cette expérimentation, on s'est rendu compte qu'un des freins principaux concernait l'accumulation de la chlordécone dans les tissus et les œufs des volailles, les rendant alors impropres à la consommation. Pour les adultes, il a été montré qu'après une période de 6 semaines confinés dans les bâtiments, ils éliminaient la chlordécone qui repassait sous la LMR 20 μg/kg de poids vif[1]. Ce résultat a permis de justifier le choix vers l'élevage d'oies pouvant servir au contrôle de l'enherbement pendant plusieurs années même sur les terrains contaminés à la chlordécone.
Aujourd'hui, le projet est arrêté mais tout un travail de communication, de vulgarisation a été réalisé au travers de rencontres sur le terrain, journées techniques, de présentations à des conférences dans la Caraïbe ainsi qu'au Salon de l'Agriculture. Un guide technique s'intitulant « Associer production fruitière et élevage de volailles : une méthode innovante pour contrôler l'enherbement » a également été édité à destination des professionnels.
Il y a un relais qui du point de vue d'Eddy doit être entrepris au niveau des OP, car ils pourraient permettre, par la force du collectif, de déployer cette pratique à une plus grande échelle en permettant notamment des achats groupés de matériel (clôture, système d'électrification, piquets, abreuvoirs, mangeoires…) ou encore aider au montage de dossiers pour des demandes de financement.
En fonction des moyens humains et financiers mis à disposition, ce sujet pourrait revenir à l'ordre du jour car il reste encore des questions en suspens, comme par exemple la question du temps de repos nécessaire pour que la parcelle retrouve son appétence auprès de l'élevage introduit.
Accompagnement des agriculteurs
Les agriculteurs et les conseillers estiment manquer le plus souvent de connaissances sur l'élevage en plein air et sur le dimensionnement de l'élevage à adopter.
Les agriculteurs sont à la recherche d'informations techniques sur le choix des races à introduire (poulet ou oie), quelles parcelles sont les plus adaptées à la mise en place de cette pratique : niveau de pente, prise en compte du type de couvert spontané qui s'y développe, celui à dominance de graminées étant à privilégier pour des oies pour avoir un effet notable sur la biomasse.
Des questions sur le matériel nécessaire à la mise en place de la pratique sont largement évoquées.
Concernant les agriculteurs qui ont mis en place ou souhaité mettre en place cette pratique, il s'agit le plus souvent de démarche individuelle mais en fonction des moyens à investir, certains agriculteurs quoique très motivés abandonnent leur projet. C'est pourquoi les organisations de producteurs pourraient en revanche leur permettre de mutualiser les moyens à investir. La FREDON intervient alors comme une structure d'appui et de conseils techniques notamment concernant le conseil à l'installation.
L'animation collective permet quant à elle sur des parcelles de démonstration chez un agriculteur d'avoir un support d'animation pour présenter les avantages et les inconvénients du système et ainsi favoriser les échanges d'expériences entre agriculteurs.
Articulation Recherche / Développement / Agriculteurs
Durant les 4-5 années du projet, Eddy et Anaïs ont eu des échanges permanents avec Christian Lavigne (CIRAD), qui travaille depuis plusieurs années sur l'association ovins / anones et des plantes de couverture (Brachiaria humidicola, graminée) et Catherine Jondreville (INRA, Université de Lorraine) plutôt sur les questions d'accumulation de polluants dans les volailles.
Pour mettre en place une telle association qui allie les productions animales et végétales, il importe de maîtriser chacune d'elle. La difficulté réside dans l'attention à ne négliger aucun des deux ateliers.
L'avantage en Martinique du point de vue d'Eddy est de travailler à l'échelle de petites parcelles (< 0,5 à 1 ha) et donc avec de relativement petits élevages.
Au niveau de la phase de communication, de vulgarisation et de diffusion, cela demande beaucoup de temps pour changer les mentalités d'où l'intérêt d'avoir des projets multi-partenariaux avec un maximum d'acteurs impliqués (FREDON, CIRAD, INRA, RITA, Chambre d'Agriculture, OP, agriculteurs…) pour accompagner ce changement sur le terrain.
Par ailleurs, il est important de collecter des références sur les pratiques alternatives pour pouvoir par la suite communiquer sur ces dernières.
Selon vous, quel dispositif pourrait être mobilisé par les agriculteurs pour les formations, ou pour adhérer à ce genre de pratiques ? Aides financières mobilisables ?
Anaïs Lavigne a représenté à plusieurs reprises la FREDON lors de réunions de préparations à la mise en œuvre de MAE dans les cultures fruitières. L'association verger/volaille a été proposée dans le cadre de mesures pouvant être utilisées pour réduire l'usage des herbicides.
A ce jour, Eddy n'a eu aucun retour sur l'intégration réelle de cette pratique dans ce dispositif.
[1]Jondreville C, Lavigne A, Clostre F, Jurjanz S, Dalibard C, Liabeuf JM& Lesueur-Jannoyer M, 2013. Contamination of grazingducks by chlordecone in Martinique. 64th EAAP Annual Meeting, 26-30/08/2013, Nantes.