Freins et leviers à la mise en oeuvre des SafN

Malgré la pertinence des SafN à répondre à de multiples objectifs, qu’ils soient écologiques, sociétaux et/ou économiques, certains freins entravent leur mise en œuvre et leur déploiement : la seule capacité de ces SafN à répondre de façon effective à ces enjeux ne suffit pas à garantir leur pérennité.

Les freins à la mise en œuvre des SafN

Le projet Life ARTISAN, comme tout projet du programme « LIFE Intégré », vise à la mise en œuvre d’un plan national existant, en l’occurrence le renforcement du deuxième Plan national d’adaptation au changement climatique 2018-2022 (PNACC-2), à travers le déploiement massif de SafN. Un rapport de recherche publié en 2018 indiquait que les SfN « représentent bien moins de 1 % du total des investissements effectués dans les infrastructures pour la gestion de la ressource en eau ».
L’approche stratégique choisie dans ce projet visait à créer les cadres d’action nécessaires et à lever les freins afin de permettre la généralisation de l’usage par les décideurs de SafN d’ici à 2030.
Les échanges générés par ce projet ont mis en avant un certain nombre de facteurs limitant pour la mise en œuvre des SafN, tout au long du cycle d’avancement des projets :

  • Phase d’émergence : les freins à cette étape sont essentiellement relatifs à une mauvaise perception des SafN (nuisances infondées, crédibilités, etc.) et de mauvaises compréhensions de ces solutions (approches cloisonnées, mal anticipées, interdisciplinarité mal appréhendée)
  • Phase de conception : les outils techniques pour mettre en œuvre les SafN ne sont pas toujours suffisamment développés ou appropriés (méthodes standardisées, spécifications techniques, outils de modélisation, méthodes d’évaluation financières prévisionnelles…). Une certaine complexité et instabilité réglementaire ont également été identifiées comme frein potentiel, conduisant à une démobilisation des acteurs et des incompatibilités avec certaines normes techniques. Les SafN ne bénéficient par exemple aujourd’hui d’aucune reconnaissance juridique leur permettant d’être distinctement identifiées au sein des documents d’urbanisation, ou des plans de prévention des risques naturels.
  • Phase de réalisation : le principal frein identifié est l’accès au foncier, parfois résultante d’autres freins (défaut d’adhésion, d’anticipation) ou contextes locaux (fortes tensions foncières locales). Le second frein de réalisation est technique, et relève d’une insuffisance d’opérateurs d’études et/ou de travaux. Enfin, le dernier frein est l’inadéquation actuelle des marchés publics qui favorisent les performances techniques sectorielles et financières rapides et/ou une partie du cycle de vie peu favorable aux SafN.
  • Phase de la pérennisation : la gestion après réalisation des SafN se heurte à un défaut de compétences techniques multidisciplinaires. L’entretien des SafN induit souvent des surcroits de main d’œuvre auxquels les collectivités peinent à apporter des réponses. Le projet identifie également à ce stade un défaut de retours d’expérience sur la gestion qui freine l’amélioration partagée de cette étape.

D’autres freins plus transversaux sont également identifiés (ONERC, 2019) :

  • La capacité d’investissement et de financement : Les incitations financières régionales et nationales continuent de s’adresser en priorité aux infrastructures grises plutôt qu’aux SafN. Il n’existe que peu d’incitations financières pour permettre la création d’un canal spécifique de financement pour les activités économiques centrées sur les SafN. Les modèles économiques nécessaires pour encourager les entreprises et les collectivités territoriales à investir sur le long terme dans les SafN ne sont pas encore suffisamment clairs. Les cobénéfices ne sont pas suffisamment pris en compte.
  • Freins sociaux-culturels :  Les SafN peuvent encore parfois être perçues comme sources de problèmes à court terme plutôt que comme des solutions potentielles aux problèmes à long terme (ex. augmentation des insectes ravageurs et des pathogènes suite à la restauration de zones humides pour empêcher des inondations, reforestation naturelle, etc.). Une étude internationale et pluridisciplinaire de recherche (Barnaud et al., 2021) a mis en évidence qu’au-delà du débat écologique, les fondements sociaux, culturels et politiques influencent fortement les discours et pratiques de gestionnaires d’aires protégées : la régénération spontanée des forêts, perçue par exemple comme une menace pour la biodiversité dans les Pyrénées et les Cévennes, est considérée à l’inverse dans les Highlands comme un succès.
    Les SafN souffrent par ailleurs encore parfois d’un manque de crédibilité concernant leur potentiel et leur efficacité comparés à des solutions grises ; les systèmes éducatifs, notamment les écoles d’ingénieur, continuent d’accorder une valeur plus importante aux solutions venant des « sciences dures » qu’aux solutions souples et vertes. Enfin, la simple résistance au changement peut limiter la volonté de considérer des alternatives perçues comme plus complexes.
  • Problème de gouvernance : Les enjeux climat et biodiversité ne sont pas suffisamment intégrés dans les structures de gouvernance aux niveaux national et local. Les départements opérationnels, notamment dans les collectivités territoriales, travaillent rarement en synergie sur ces enjeux et les réseaux de parties prenantes ont peu d’interactions. L’aménagement du territoire et les stratégies de gestion ne prennent pas suffisamment en compte les synergies potentielles entre les enjeux climat et biodiversité.

Les leviers d’action pour déployer les SfN

Les différents projets menés sur l’identification des freins à la mise en œuvre des SfN aboutissent à des préconisations de leviers d’action pour tendre vers un changement d’échelle.

Renforcer les connaissances et leurs diffusions

Un des freins à la mise en œuvre des SafN réside dans les incertitudes qui persistent encore concernant le fonctionnement et l’efficacité de certaines SafN et leur pérennité dans le temps, particulièrement en ce qui concerne leurs conditions de mise en œuvre (conditions d’installation, type de territoire et de climat, quantification des résultats attendus, etc.) et d’entretien. Il apparait donc comme nécessaire de poursuivre les recherches sur le fonctionnement des écosystèmes et leur capacité de résilience, notamment face aux impacts du changement climatique.
De nombreux résultats de recherche existent dans de nombreux domaines liés aux SafN, cependant ces résultats n’ont pas été suffisamment utilisés et largement diffusés auprès des décideurs, tout comme les conditions nécessaires au succès des SafN.

Plusieurs outils issus de la recherche sont aujourd’hui en cours d’élaboration pour permettre de valoriser, référencés et identifier des SfN à mettre en œuvre sur un contexte territorial. Par exemple le jeu sérieux SIM-MANA, outil numérique 3D qui permet de simuler et tester des scénarios d’inondations pour aider les acteurs (techniciens, gestionnaires, décideurs, riverains) à intégrer des SFN comme solutions de protection efficaces. Le nouvel outil interactif issu du projet ARTISAN à destination des techniciens permet de trouver des exemples de SfN adapté à un contexte te une problématique spécifique, en mettant en exergue les clés de réussite.

Renforcer l’évaluation socio-économiques des SfN en prenant en compte des services écosystémiques ou des retombées socio-économiques

Le déploiement de SfN s’accompagne de cobénéfices multiples, souvent non-marchands, ce qui complique les modèles économiques de leur mise en œuvre. Lorsqu’ils sont mal perçus par certains décideurs ou évalués dans le cadre d’approches sectorielles trop étroites, ces cobénéfices peuvent être négligés et les enjeux associés délaissés.
Parmi ces « cobénéfices » figure en particulier celui d’abriter une biodiversité, remarquable ou plus ordinaire, dont la valeur intrinsèque, qui n’est pas un bénéfice à proprement parler, est difficilement monétarisable en tant que telle du fait du caractère incommensurable de certaines valeurs sous-jacentes.

La mise en valeur de telles solutions nécessite par ailleurs d’accorder de l’importance aux perspectives de long terme dans les évaluations. Une fois planté, un peuplement forestier peut nécessiter plusieurs décennies avant de jouer son rôle protecteur (par exemple contre des risques en zone de montagne).

Si les coûts d’investissement sont relativement faibles en comparaison à d’autres solutions, la difficulté du maître d’ouvrages pour évaluer ses coûts d’entretien sur l’ensemble de la durée de vie du projet, va complexifier l’évaluation de son besoin de financement. Alors même que la majorité des aides publiques ne couvrent aujourd’hui que les dépenses d’investissement sur une durée de 5 ans, et en considérant le manque de visibilité sur la temporalité de production de bénéfices, les SafN se retrouvent aujourd’hui délaissés par une partie des acteurs pour des raisons de visibilité économique.

D’après le rapport de de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC, 2019), s’il existe quelques exemples dans les modèles économiques actuels pour lesquelles les SfN se sont avérées moins coûteuses pour un effet équivalent, les situations dans lesquelles ces solutions ressortent, ou plus coûteuses pour un impact similaire, ou plus incertaines concernant leur impact restent répandues.
Ce caractère incertain des SfN aurait principalement trois origines :

  • elles n’ont parfois que des effets à long terme,
  • elles peuvent en plus être exposées au changement climatique(cas de certains peuplements forestiers)
  • les fonctions des écosystèmes sur lesquelles elles s’appuient sont complexes et requièrent des connaissances écologiques et des savoirs techniques qui font encore souvent défaut

Les maîtres d’ouvrage qui cherchent à financer leur projet en dehors de subventions se confrontent ainsi à une certaine réticence de partenaires financiers, qui considèrent ces opérations comme soumis à un gros aléa. Par ailleurs, les caractéristiques économiques des solutions fondées sur la nature font que les projets ont souvent des difficultés à générer des taux de retour sur investissement positifs (notamment du fait la non-exclusivité des bénéfices générés). Cette problématique constitue aujourd’hui l’un des enjeux majeurs pour permettre d’augmenter le volume de financements du secteur privé en direction de ces projets (MEB, 2023).

D’après l’ONERC, il est donc crucial de réviser les cadres conceptuels de l’évaluation afin de pouvoir appréhender l’intérêt de l’alternative que représente le recours aux SfN en amont de tout projet. L’évaluation socio-économique des services écosystémiques pourrait notamment permettre de consolider la crédibilité des SfN en tant que solution d’adaptation au changement climatique en montrant notamment que dans de nombreuses situations les SfN présentent un rapport coût/bénéfice plus intéressant que l’investissement et l’entretien d’infrastructures grises ou de nouvelles technologies, notamment dans le cadre de la gestion des risques de catastrophes naturelles (Vicarelli et al. 2024).

Ajuster le cadre des politiques publiques  

Le cadre des politiques publiques actuel nécessite des évolutions ou des aménagements pour déboucher sur un déploiement massif des SfN. À cet égard, certains outils pourraient être davantage mobilisés pour renforcer l’intégration des SfN dans les politiques publiques et plus généralement augmenter le nombre de projets (adaptation des documents de planification, clauses de marchés publics, etc.).

Faciliter l’acceptabilité sociales par des méthodes de participation et de co-construction des projets

L’implication très en amont des parties prenantes, l’information et la communication tout au long du projet concourent à la réussite des projets comme en témoigne les 14 fiches de retours d’expérience du projet PAYSAN ; la diversité d’acteurs et de points de vue dans l’appréhension de ce système est également un élément important.

Renforcer le financement des SafN

La nécessité de débloquer de nouvelles ressources pour ces projets se fait de plus en plus pressante. Pourtant, le développement de l’offre des SafN est freiné par le niveau actuel de la demande et le peu de financements disponibles en comparaison à d’autres types de solutions d’aménagement.
Les soutiens publics et diverses aides se multipliant dans le champ des SafN, peuvent participer à rendre ces solutions compétitives.
D’un côté, il est nécessaire de faire connaître et flécher les dispositifs financiers existants qui soutiennent actuellement le déploiement des SafN (Plan de relance, Cœur de ville, dispositifs des Agences de l’eau, programme Nature 2050 de la Caisse des Dépôt), encore méconnus. D’un autre côté, la difficile valorisation des co-bénéfices des SafN pourrait pourtant se transformer en un levier important avec le modèle alternatif de paiement pour services écosystémiques (PSE) déjà expérimenté, notamment dans le secteur agricole (ex. Fermes de Figeac, Agence de l’Eau Adour Garonne).

L’étude sur les financements mobilisables pour la mise en œuvre des SfN publiée en octobre 2023 dans le cadre des dossiers de la Mission économie de la biodiversité (MEB) indique par ailleurs la nécessité de mobiliser plusieurs leviers financiers au-delà des subventions, intégrant les fonds privés, une amélioration de l’environnement fiscal français, actuellement peu favorable à ce type de projets en lien avec la biodiversité (fiscalité des espaces naturels orientés sur une forte taxation de la rémunération), et la mobilisation des territoires à travers le financement participatif.

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