La LBCGH au service de la qualité des masses d’eau, comment ?

La LBCGH se caractérise par la synergie entre deux approches : une régulation descendante « Top down » et une régulation ascendante « Bottom up » qui vont être décrites à travers leur capacité à protéger voire reconquérir la qualité des eaux de surfaces et souterraines

L'approche Top Down

L'approche Top Down s'appuie sur l'implantation d'infrastructures agroécologiques (IAE), définies comme des milieux semi-naturels qui ne reçoivent ni engrais, ni pesticides. Ce sont des milieux très divers : allant des prairies extensives aux haies composites en passant par les bandes fleuries et enherbées pour les plus étudiés (cf. synthèse technique OSAE : « Lutte biologique par conservation et gestion des habitats »). Ils permettent de répondre à l'enjeu de qualité des eaux à travers divers modes d'action :

Régulation des ravageurs

L'instauration de ces surfaces de compensation écologique a pour but de favoriser les populations d'auxiliaires susceptibles de contribuer au contrôle biologique des bioagresseurs et par conséquent à l'utilisation moindre d'insecticides (Bianchi et al., 2006; Gurr et al., 2003; Thies, 1999). Pour choisir les essences d'arbres composant la haie ou le mélange d'espèces de la bande fleurie, nous vous invitons à visiter Herbea. Cet outil numérique interactif, libre de droit, permet de connaître le réseau d'interactions entre ravageurs, plantes cultivées, auxiliaires et leurs plantes ressources, sous l'influence des pratiques agricoles et du contexte paysager.

Par ailleurs, après application des pesticides, ces derniers sont susceptibles de ruisseler en surface ou subsurface ou se lixivier vers les nappes (Figure 2). Ces différents écoulements de l'eau dans les sols entraînent majoritairement les herbicides et les nitrates appliquées en automne pendant les pluies efficaces. Ces phénomènes peuvent être atténués par les IAE grâce à différents processus détaillés ci-dessous :

Rétention et diminution de la vitesse d'écoulement

La limitation des transferts en surface et subsurface vise à diminuer les vitesses d'écoulement des pesticides et nitrates véhiculées par les eaux de ruissellement. Et placées en position d'interception du ruissellement issu d'une zone agricole (en travers de la pente), une bande enherbée ou fleurie permet de favoriser ce phénomène (Catalogne and Le Henaff, 2018). Les critères d'efficacité de ces IAE sont une forte densité d'implantation associée à une bonne homogénéité. En effet, il est important qu'il n'y ait pas de passage préférentiel d'écoulement d'eau (bourrelet de terre) qui inverserait l'effet recherché. A garder en tête donc qu'il est nécessaire d'entretenir la continuité entre la parcelle et ces IAE sans bourrelet de terre ni dérayure de labour. Par ailleurs, les haies et fascines permettent d'intercepter les flux d'eau et donc de ralentir la vitesse d'écoulement des eaux ruisselées. Lorsqu'elles sont bien positionnées, dimensionnées et entretenues, les haies et fascines peuvent intercepter entre 74 et 99 % de la charge solide transportée par ruissellement (Catalogne and Le Henaff, 2018).

L'importante densité racinaire et la forte densité en matière organique du premier horizon découlant de l'implantation des IAE permettent une rugosité et une perméabilité du sol importantes favorisant la capacité d'infiltration du sol, mode d'action présenté ci-dessous.

Infiltration

L'augmentation de la capacité d'infiltration du sol permet de limiter la quantité d'eau chargé de pesticides et nitrates qui ruisselle en surface et subsurface. Pour ce mode d'action, il est préférable de mettre en place des haies. Les racines de la strate herbacée des bandes enherbées sont certes très denses en surface (0-40 cm), mais celles issues des arbres se développent aussi en profondeur (jusqu'à plusieurs mètres) et colonisent une épaisseur de sol plus importante. Les conséquences sur le parcours de l'eau sont différentes. L'enracinement plus profond permet une meilleure structure du sol et donc une capacité d'infiltration plus élevée. Cette meilleure structure du sol s'accompagne d'une activité biologique des sols accrue qui permet de favoriser le troisième mode d'action : la dégradation des MES.

Dégradation / dénitrification

Les phénomènes de ralentissement de la vitesse d'écoulement et d'augmentation de l'infiltration augmentent le temps de séjour de l'eau et des pesticides et nitrates qu'elle véhicule. Ce qui permet par la suite aux différents processus de dégradation (biologiques ou abiotiques) de se dérouler, sous réserve d'une bonne activité biologique du sol et d'une forte concentration en matière organique. Ces deux conditions sont favorisées par la présence de haies mais aussi de bandes enherbées. La litière végétale qu'ils produisent permettent d'augmenter la concentration en MO du sol et favorise l'activité biologique du sol, essentielle pour dégrader ces produits.

Par ailleurs, en hiver, la nitrification se développe dans toutes les couches non saturées, ce qui résulte d'une augmentation de la concentration en nitrates dans le sol potentiellement lixiviable. Pour limiter ce processus voire l'inverser, la dénitrification, il est nécessaire de connaître des conditions d'anaérobie donc concrètement de saturation en eau plus ou moins permanentes des sols. C'est principalement le cas des prairies humides et boisements de bas-fond (incluant les ripisylves) qui connaissent des conditions de saturations plus ou moins permanentes. Alliées à une bonne activité biologique stimulée par l'enrichissement en matière organique du sol, ces deux éléments paysagers possèdent un potentiel avéré de dégradation des nitrates.

Absorption racinaire

Comme pour l'eau, les arbres prélèvent des nutriments dans le milieu. Les racines des arbres sont souvent plus profondes que celles des cultures, elles peuvent intercepter des nutriments apportés en excès ou produits par minéralisation de la matière organique des sols, et limiter localement la lixiviation de nutriments vers les horizons de sol profonds et les nappes (Viaud and Thomas, 2019). Il faut néanmoins garder en tête que l'azote absorbé par la végétation sera susceptible d'être à nouveau libéré (chute de feuille, nécrose des racines). Un entretien des haies permettrait d'aboutir à un bilan positif. De plus, l'une des limites de ce mode d'action par les haies reste que la principale période de lixiviation des nitrates s'étant de novembre à mars, en période de repos végétatif. Ainsi, les couverts herbacés tels que les bandes enherbées et fleuries avec des espèces vivaces, présentent l'avantage d'être actif à cette période clée. L'association de ces deux éléments paysagers sera recommandée pour favoriser ce mode d'action.

L'installation des IAE qui découle de la mise en oeuvre de la LBCGH permet de diminuer la vitesse d'écoulement de l'eau dans les sols, de favoriser la capacité d'infiltration des sols et de dégradation des MES. Donc l'approche Top Down de la LBCGH permet d'assurer un ensemble de fonctions environnementales particulièrement intéressantes pour répondre à l'enjeu de protection et reconquête de la qualité des eaux. 

 

L'approche Bottom up

La régulation Bottom up peut se faire par de nombreuses pratiques qui jouent sur différentes étapes du cycle des bioagresseurs (adventices, maladies et ravageurs) et concourent à limiter leurs incidences sans recours aux intrants chimiques. Ils répondent à plusieurs stratégies :

Action sur la population initiale

En amont, des méthodes peuvent être mobilisées pour agir sur le stock initial de bioagresseurs (stock de graines, inoculum et larves/œufs) et limiter le développement des populations qui sont sources de contamination des cultures. Parmi ces méthodes, il y a l'allongement des rotations qui est un levier important pour éviter la spatialisation des flores adventices et des ravageurs. Par exemple, l'alternance de cycles de cultures d'hiver et de printemps permet d'éviter l'installation des adventices dont le cycle de développement est calé sur celui de la culture.

De nombreuses recherches prouvent notamment que cette stratégie permet de protéger voire de reconquérir la qualité des masses d'eau (Altieri and Nicholls, 2004; Deike et al., 2008; Scholberg et al., 2010). Par ailleurs, le travail du sol, plus particulièrement l'alternance des profondeurs de travail du sol permet une gestion efficace des stock de semences des adventices et répondre à l'enjeu de protection de la qualité des masses d'eau (Hall et al., 1991; Hall and Mumma, 1994)

Stratégie d'évitement

L'objectif est d'éviter la concordance entre la phase de contamination du bioagresseur et la période de sensibilité de la culture. Le décalage des semis est une méthode qui permet de limiter l'utilisation des intrants. Pour les céréales d'hiver, les semis trop précoces augmentent les risques d'attaque des insectes à l'automne (cas des pucerons vecteurs de la Jaunisse Nanisante de l'Orge). Retarder les dates de semis permet de les éviter, en veillant toutefois à garder des conditions favorables pour l'implantation de la culture.

Stratégie d'atténuation

Cette stratégie a pour objectif de minimiser les dégâts lorsque la culture et le bioagresseur se trouvent en contact. Il s'agit d'augmenter la compétitivité de la culture et d'éviter les conditions favorables au développement des adventices, maladies ou ravageurs en jouant sur des associations d'espèces et de variétés et sur les dates de semis, ainsi que la fertilisation. Les cultures intercalaires, les semis sous couverts, ou l'association de cultures permettent de couvrir l'inter-rang et de concurrencer par conséquent les adventices. Les associations légumineuses-céréales assurent par exemple une compétition vis-à-vis des adventices pour la lumière et une meilleure efficience de l'utilisation de l'azote, ce qui en limite la quantité́ disponible pour les adventices.

Ces différents méthodes permettent de limiter la pression sur la qualité des masses d'eau (Drinkwater et al., 1998; Gurr et al., 2003; Holderbaum et al., 1990). Néanmoins, la mise en place de bandes enherbées en vignes par exemple, permet d'améliorer la fonction de filtre du sol mais sa destruction peut entraîner l'utilisation d'herbicides plus importante que si le sol était resté nu (Aubertot et al., 2007). L'efficacité des solutions techniques mentionnées pour protéger la qualité des eaux souterraines reste donc posée.

Les phénomènes de lixiviation et ruissellement des pesticides et nitrates sont le résultat d'une interaction entre plusieurs facteurs (présentés en amont). Si ces phénomènes sont bien connus, l'impact quantifié de ces solutions techniques reste difficile, nécessitant des expérimentations lourdement instrumentées. La limitation de l'utilisation des pesticides et intrants azotés comme proposé par l'approche bottom up permet de diminuer la pression de pollution sur les masses d'eau. Combinée à l'approche top down, la mise en œuvre de la LBCGH paraît donc pertinente si l'on vise une réduction significative de la contamination des milieux.

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