Réduire les surfaces en IAE pour augmenter les surfaces cultivées et la production nuirait fortement à la biodiversité

Convertir les surfaces d'infrastructures agroécologiques (IAE) comme les haies, les bandes enherbées, les prairies naturelles extensives, les jachères ou les bosquets en terres cultivées aurait peu d'effet sur l'augmentation de la production agricole mais un impact considérable sur la biodiversité.

C'est la conclusion à laquelle est arrivée une équipe de chercheurs emmenée par Philippe Jeanneret du centre de recherche Agroscope en Suisse, en mobilisant les données recueillies dans le cadre du programme de recherche BioBio sur 169 fermes situées, pour moitié en bio et pour moitié en conventionnel, dans 10 pays européens.

Cet article vient à nouveau confirmer l'importance des IAE pour maintenir les espèces sauvages dans l'espace agricole. Leur augmentation dans les systèmes agricoles qui en sont peu dotés (grandes cultures, vignes) permettrait de restaurer la biodiversité. C'est la raison pour laquelle la stratégie européenne « de la fourche à la fourchette » et « en faveur de la biodiversité » qui a été validée le 19 octobre 2021 par une très large majorité des eurodéputés (déjà approuvé par la Commission européenne le 20 mai 2020), a fixé un objectif de 10% d'IAE d'ici 2030.

Dans ce réseau de fermes diversifiées (grandes cultures, élevages, arboriculture, viticulture), les IAE occupent en moyenne 23% de la SAU et 49% des espèces, observées sur l'exploitation, y trouvent leur habitat unique. A l'inverse 26% des espèces ne sont présentes que dans les champs et les 25% restant sont communes aux deux milieux.

Les IAE hébergent donc proportionnellement beaucoup d'espèces comparativement à la surface qu'elles occupent. Cela est particulièrement vrai dans les systèmes de grandes cultures ou d'arboriculture où les IAE n'occupent plus qu'entre 3 et 10% de la SAU tout en hébergeant 40 à 60% d'espèces uniques.

Pour arriver à ces résultats les chercheurs disposaient d'un monitoring de 4 taxons (abeilles sauvages, araignées, vers de terre et flore), une cartographie précise des IAE et les rendements des cultures. A partir de cette base de données ils ont conçu un modèle qui relie le nombre d'espèces, le type d'IAE et la surface qu'elles occupent. A partir des surfaces converties en cultures, ils ont pu mesurer l'augmentation de la production attendue.

Supprimer des surfaces d'IAE pour espérer gagner 10% de production ferait perdre en moyenne 44% d'espèces présentes uniquement dans les IAE et 24% au global du fait du gain dans les parties cultivées. Le gain de production ne serait au final que de 7,7% car certaines fermes avec des terres arables situées en Autriche, Allemagne et Pays Bas et les exploitations viticoles (Italie)  ne pourraient même pas atteindre cet objectif, leur surface d'IAE étant trop faible. Gagner 10% de production ne serait possible que dans les exploitations d'élevage possédant des prairies naturelles qui pourraient être intensifiées avec une baisse de 22% d'espèces uniques et les oliveraies (Espagne). Les systèmes avec des terres arables et celles en production de fruits seraient les plus grands perdants en ne gagnant que 6% de production pour une perte de 49% d'espèces uniques aux IAE et 26% sur l'exploitation.

Il n'a pas été mesuré de différences significatives du nombre d'espèces présentes dans les IAE dans les fermes bio versus conventionnelles (+1,8% dans les IAE et +5,9% dans les parcelles cultivées) avec une production inférieure de 15,4 % en moyenne. La réduction des IAE dans les fermes bio auraient cependant moins d'effet sur la perte en espèces.

Le gain espéré et sa mise en œuvre sont, de plus, à relativiser. En effet ce travail n'a pas évalué la faisabilité d'un tel scénario car souvent les IAE sont implantées sur des surfaces moins productives ou difficilement mécanisables. Ils hébergent de plus  de nombreux auxiliaires (prédateurs, parasitoïdes, pollinisateurs) qui contribuent à l'accroissement des rendements.

Enfin il est fort probable que les espèces observées dans les IAE présentent des enjeux de conservation (rareté) beaucoup plus élevés que celles observées dans les cultures. La perte d'une espèce dans les IAE n'est pas compensée par le gain d'une autre dans la partie cultivée du champ.

Cette démonstration par l'absurde montre le rôle central joué par les IAE à côté de la réduction des intrants et la diversité des cultures. Plutôt que de chercher à produire plus, il suffirait de consommer un peu moins de produits animaux qui occupe 90% de l'empreinte surface de notre alimentation, comme le recommande le plan national nutrition santé (PNNS4) ou la commission Eat Lancet pour des raisons de santé publique et de limites planétaires.

Sources :