Les pesticides impactent la vie biologique des sols
Les pesticides ont un effet négatif sur la vie biologique des sols en impactant le fonctionnement des mycorhizes et la faune invertébrée. C'est la conclusion de deux études publiées en 2021. La première menée une équipe américaine et qui s'est intéressée aux invertébrés, et la seconde menée par une équipe européenne qui a étudiée essentiellement les mycorhizes. Ces travaux sont importants dans la mesure ou la biodiversité des sols rend de nombreux services comme la dégradation de la matière organique permettant le bon fonctionnement du cycle de l'azote et du carbone, la mobilisation du phosphore, la régulation des ravageurs, la porosité du sol et l'infiltration de l'eau. Certains chercheurs estiment que l'intensification agricole a déjà réduit ces services de 60%.
La première étude parue dans Frontiers in Environmental Sciences et emmenée par Tari Gunstone du centre de recherche pour la diversité biologique de Portland a synthétisé 394 études de terrain ou en laboratoire portant sur les effets des pesticides sur la faune invertébrée qui dépend du sol . Cela a concerné 284 matières actives et 275 espèces d'invertébrés pour 2800 relations mesurées entre un pesticide et une espèce invertébrée. La mesure de l'impact a porté sur la mortalité, l'abondance, la biomasse, la reproduction, l'activité, la taille, la diversité, les modifications physiques et les marqueurs biochimiques. Les espèces les plus étudiées étaient par ordre décroissant: les vers de terre, les collemboles, les bourdons, les coléoptères, les acariens et les nématodes.
La conclusion est sans appel. Dans 70,5% des cas les pesticides ont un effet négatif sur les invertébrés et des effets positifs n'ont été observés que dans 1,4% des cas. Les traitements insecticides et notamment les néonicotinoïdes utilisés pour le traitement des semences enfouies dans le sol sont mis en cause mais aussi les fongicides (71,% d'effets négatifs) et les herbicides comme le glyphosate et les triazines (63,2%). Seuls les effets directs ont été mesurés auxquels il faudrait ajouter les effets indirects comme la réduction des ressources alimentaires pouvant impacter l'avifaune.
Carabe grené (Carabus coriaceus) : mangeant des œufs de limace
La seconde étude parue dans Environmenal Science and technology et emmenée par Judith Riedio du centre de recherche suisse Agroscope a étudié 100 parcelles menées soit en agriculture conventionnelle (60), soit en agriculture biologique (40), en analysant 46 pesticides (16 herbicides, 8 produits de dégradations d'herbicides, 17 fongicides et 7 insecticides) et en mesurant la biomasse microbienne et notamment l'abondance des mycorhizes.
Là aussi la conclusion est sans appel. La biomasse microbienne et l'abondance des mycorhizes sont négativement corrélées avec la quantité de résidus de pesticides dans les sols. Ces résidus de pesticides sont présents dans toutes les parcelles mais avec des concentrations 9 fois moins importantes dans les parcelles biologiques. La rémanence de certains d'entre eux apparait beaucoup plus élevée qu'annoncée. Ainsi après 20 ans en agriculture biologique, 16 différents métabolites ont pu être mesurés.
Les pesticides dans le sol pourraient directement nuire à la croissance des hyphes fongiques ou interférer avec des processus physiologiques spécifiques tels que l'absorption et le transport des métabolites et des nutriments. Ces conclusions sont importantes car les champignons mycorhiziens, forment des associations symbiotiques avec les plantes et leurs facilitent l'accès au phosphore et à l'eau.
Les concentrations de pesticides ont été mesurées en microgramme par kg de sol sec. Le nombre de pesticides retrouvé dans le sol varie de 3 à 32. La plus grosse concentration observée est de 1,17g/kg. La médiane de concentration est 85% plus élevé dans les champs en céréales conventionnels que biologiques.
La molécule la plus observée est la 2-hydroxyatrazine, un produit de dégradation de l'atrazine (un herbicide), détectée dans 92 % des sols arables et la plus présente dans les parcelles biologiques. Le nombre de résidus de pesticides ainsi que la somme de la concentration totale de pesticides ont diminué de manière significative avec la durée de l'agriculture biologique, de 70% ou 90% respectivement. Toutefois, même après 20 ans de gestion biologique, entre 3 et 16 résidus de pesticides différents ont encore été détectés. Les herbicides linuron, napropamide, chloridazon et atrazine (y compris les sous-produits), ainsi que le fongicide carbendazim, sont les pesticides qui ont prévalu le plus longtemps après la conversion à l'agriculture biologique.
Comme les champs gérés biologiquement n'avaient pas été exposés à l'application directe des pesticides testés depuis au moins trois ans, ces travaux suggèrent que soit les pesticides ont persisté dans le sol bien plus longtemps que prévu, soit la contamination s'est produite par une voie indirecte à partir des champs conventionnels adjacents, par la dérive des particules, l'érosion éolienne ou le ruissellement. Pour certains des pesticides détectés, tel que le napropamide, qui est actuellement toujours utilisé, cette contamination diffuse par dérive est possible. Cependant, pour d'autres résidus tels que l'atrazine (interdit depuis 2001) et ses produits de dégradation, le linuron (interdit depuis 2017), le chloridazon (interdit depuis 2019), le carbendazime (interdit depuis 2016) une voie de contamination indirecte n'est plus possible puisqu'ils ne sont plus utilisés. Cela implique que les résidus d'atrazine persistent beaucoup plus longtemps que leur demi-vie (DT50) de 6-108 jours, comme le suggèrent les études de terrain. Les demi-vies de divers autres pesticides, tels que le chloridazon, le carbendazime et le linuron, sont également faibles, mais elles ont encore été détectées après 20 ans de gestion biologique.
Cette étude indique que la persistance des pesticides interdits ou actuellement utilisés, est sous-estimée. Même si de faibles concentrations ont été détectées dans les sols des champs gérés biologiquement, l'effet potentiel de cette contamination à long terme est particulièrement critique, car les champs sous gestion biologique dépendent beaucoup plus des processus biologiques du sol et de la vie bénéfique du sol comme les champignons mycorhiziens.
Sources :
Judith Riedo, Felix E. Wettstein, Andrea Rösch, Chantal Herzog, Samiran Banerjee, Lucie Büchi, Raphaël Charles, Daniel Wächter, Fabrice Martin-Laurent, Thomas D. Bucheli, Florian Walder and Marcel G. A. van der Heijden. Widespread Occurrence of Pesticides in Organically Managed Agricultural Soils – the Ghost of a Conventional Agricultural Past? Environ. Sci. Technol. DOI