L’équarrissage naturel : une pratique agroécologique

Le service d’équarrissage

L’équarrissage naturel, c’est les vautours au service de l’agriculture et vice-versa. A l’heure où beaucoup remettent en cause l’intérêt de la biodiversité pour le bon fonctionnement de notre agriculture, il est peut-être bon de donner quelques exemples de solutions fondées sur la nature.

L’équarrissage représente un coût et une contrainte non négligeable pour les éleveurs. Dans le Cantal, la cotisation équarrissage a été fixée à 1,15€/UBE (Unités Bétail Équarrissage). Une vache ayant vêlé représente 1,17 UBE. En cas de non cotisation le tarif moyen pratiqué par les équarrisseurs auxquels s’exposeraient des éleveurs non à jours de leur cotisation équarrissage serait de 436€ pour un bovin de + de 24 mois. L’activité de collecte et de destruction représentait en 2021 448 000 tonnes de cadavres d’animaux d’élevage en métropole par an et environ 90.000 tonnes pour les saisies. Le coût total de l’équarrissage des animaux morts dépasserait donc les 100 millions d’€ par an. A noter que 4,3 millions de volailles ont été abattus en 2023 à cause de la grippe aviaire et 20 millions en 2022.

Sont concernés par le service public d’équarrissage, les cadavres de bovidés, d’ovins et de caprins d’élevage > 40 kilogrammes, morts en exploitation agricole. Selon la loi « Les propriétaires ou détenteurs de cadavres d’animaux sont tenus d’avertir, dans les meilleurs délais et au plus tard dans les quarante-huit heures, la personne chargée de l’enlèvement, en vue de leur élimination et « Les cadavres d’animaux doivent être enlevés dans un délai de deux jours francs* après réception de la déclaration du propriétaire ou du détenteur ».

Dans les secteurs où cela est possible l’équarrissage naturel est une bonne solution.

L’équarrissage naturel : le cas des Grands Causses

Le vautour fauve a été réintroduit en 1981 dans la région des Grands Causses, aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’Unesco pour son pastoralisme. Afin de faciliter cette réintroduction, le Parc National des Cévennes et la LPO ont mis en place une collecte d’équarrissage pour approvisionner des charniers. Cela a nécessité une négociation avec les services vétérinaires qui a abouti à modifier la législation au travers d’un arrêté du 7 août 1998 qui reconnait le rôle des vautours comme auxiliaires sanitaires. Les éleveurs ont dorénavant la possibilité de créer des placettes d’alimentation où déposer leurs animaux morts. Le vautour avec l’extrême acidité de son pH gastrique détruit la plupart des agents pathogènes.

Ainsi la collecte d’équarrissage a cessé en 2013. Plus d’une centaine de placettes sont aujourd’hui en fonctionnement. Il faut savoir qu’avant le délai d’enlèvement des cadavres par une société d’équarrissage variait de 3 jours à une semaine et engendrait des coûts importants. Une vraie économie pour tout le monde. Les éleveurs ayant une placette bénéficient d’une ristourne de 60% de la contribution financière à l’équarrissage.

Aujourd’hui la population de vautours fauves est estimée à plus de 400 couples, celle de vautours moines à 80 couples et le gypaète est en cours de réintroduction.

Le Vautour fauve est capable de prospecter de grandes zones pour trouver sa nourriture et d'alterner périodes de jeûne (jusqu'à deux semaines) et forte consommation de viande (jusqu'à 1,3 kg en un seul repas).

Un travail d’enquête réalisé en 2021 par le Parc national a permis de quantifier précisément le tonnage et la saisonnalité des cadavres d’animaux domestiques déposés par les éleveurs des Grands Causses sur ces placettes. Grâce aux données collectées auprès de 56 éleveurs, il a été possible d’extrapoler les tonnages mensuels de la ressource alimentaire déposés par les éleveurs sur les 103 placettes. Si l’on soustrait les parties non consommables par le Vautour fauve (os, peau et toison), 157 tonnes de ressource alimentaire ont été mises à disposition des vautours en 2020 via le réseau d’équarrissage naturel des Grands Causses (132 tonnes pour les placettes et 25 t pour le charnier). Les besoins annuels théoriques pour nourrir la population de Vautour fauve des Grands Causses ont été estimés à 222 tonnes. Le reste provient de cadavre d’animaux sauvages.

Impact des vautours fauves sur les animaux vivants

Concernant l’impact des vautours fauves sur des animaux domestiques vivants, essentiellement bovins et ovins, des expertises ont été menées entre 1993 et 2009 sur 537 déclarations de dommages attribués par les éleveurs au Vautour fauve. La quasi-totalité des déclarations de dommages sont survenues dans les Pyrénées- Atlantiques (82 %), puis dans les Hautes-Pyrénées (13,3 %).

Sur 170 cas expertisés par des vétérinaires dans 84 % des cas, le vautour est intervenu sur des animaux condamnés ou des bêtes vulnérables en incapacité à se mouvoir – conséquence de blessures, complications post-partum ou encore pathologies –, dont l’état préoccupant nécessitait une intervention humaine urgente (éleveur, vétérinaire). Dans ces conditions, les vautours ont alors fait preuve d’opportunisme et consommé l’animal encore vif.

Le nombre d’animaux concernés par des déclarations de dommages, pour les années 2007 à 2009 sur les Pyrénées occidentales, est en moyenne compris entre 120 et 200. Ce chiffre est à comparer avec les pertes estimées à 9000 ovins et plus de 2000 bovins morts, toutes causes confondues (maladies, chiens errants, foudre, chutes ...).

L’enjeu majeur de ce Plan National d’Actions 2017-2026 "Vautour fauve et activités d’élevage" est donc de solutionner la question des interactions entre le Vautour fauve et le bétail pour préserver la relation à bénéfices réciproques entre éleveurs pastoraux et vautours, et sa restauration sur les territoires où elle s’est dégradée.

Pour y parvenir, une série d’actions complémentaires est proposée, autour de 5 objectifs principaux :

  1. Consolider et développer l’équarrissage naturel.
  2. Limiter les interactions négatives entre le Vautour fauve et le bétail vulnérable, par l’expérimentation de mesures préventives.
  3. Poursuivre le suivi scientifique de la dynamique des populations de Vautour fauve.
  4. Diffuser l’information pour favoriser la compréhension de l’espèce et l’appropriation de la problématique par ceux qui la vivent et ceux qui la suivent.
  5. Développer la coordination internationale autour du suivi et de la gestion de l’espèce.

 

Il en ressort que les éleveurs et les vautours ont tout intérêt à cohabiter.

En estive, l’efficacité de l’équarrissage par les charognards est incontestable, au vu des contraintes que représenterait le déplacement de milliers de cadavres (de l’ordre de 8 000 à 12 000 ovins dans les Pyrénées - il est admis un taux de perte de 2 à 3 % de pertes en estives) vers les axes de circulation.

Les Vautours assurent cette prestation et permettent :

  • Une élimination rapide des cadavres domestiques trouvés, notamment en comparaison des délais d’enlèvement des services d’équarrissage conventionnels ;
  • Une élimination rapide des cadavres de la faune sauvage
  • L'assainissement du milieu, en jouant le rôle de cul-de-sac épidémiologique ;

L'augmentation des populations de Vautours fauves en France est donc une bonne nouvelle par les éleveurs et le pastoralisme en évitant tous les frais liés à l'équarrissage.

Le vautour fauve dans les Pyrénées

En 2019, leur population a été estimée dans les Pyrénées à 1254 couples reproducteurs (dont 1055 couples dans les Pyrénées-Atlantiques, 101 dans les Hautes-Pyrénées, 13 en Haute-Garonne, 84 dans l'Aude et 1 dans les Pyrénées-Orientales). Cet effectif représente une augmentation de 51 % depuis 2012.

La population espagnole a été estimée en 2018-2019 à 30 946 couples (dont 6015 dans les provinces pyrénéennes, du Pays basque à la Catalogne).

Il faut se rappeler que les vautours avaient presque disparu de France entre 1920 et 1940. Les actions de conservation et de réintroduction dès les années 1980 permettent maintenant que la France soit le seul pays au monde où les populations de vautours sont en croissance.

L’espèce a disparu des Alpes et des Alpilles au XIXème siècle et du Massif Central (Grands Causses) en 1946. Il subsistait une seule petite colonie dans les Pyrénées dans les années 60.