La spirale infernale du glyphosate
En 2019, le nombre d'espèces de mauvaises herbes identifiées comme résistantes au glyphosate est de 47 d'après la Commission géologique des Etats-Unis et sur la base de l'enquête internationale sur la résistance des mauvaises herbes aux pesticides. C'est en 2002 que les premières mauvaises herbes résistantes au Roundup sont apparues dans le Tennessee et le Missouri. Pour faire face à cette situation, les agriculteurs américains ajoutent deux nouveaux herbicides en complément du glyphosate : le XtendiMax à base de Dicamba produit par Bayer et Enlist à base de 2,4D produit par Corteva.
La résistance des mauvaises herbes au glyphosate (mais aussi aux autres herbicides) constitue un grave problème, car il exige que les agriculteurs procèdent à des applications plus abondantes ou plus fréquentes, ou encore qu'ils recourent à des mélanges d'herbicides.
Ainsi la consommation d'herbicides s'envole aux USA. Le glyphosate est aujourd'hui utilisé sur 65% des principales cultures américaines (soja, maïs, coton). Et 90% des semences de soja vendues aux USA sont OGM et tolérante au Roundup soit de quoi ensemencer 20 millions d'ha.
La spirale est infernale car l'utilisation du XtendiMax endommage les cultures voisines du fait que son principe actif s'évapore et se dépose sur les autres cultures.
Rappelons que le glyphosate est un herbicide non sélectif à action systémique, ce qui signifie qu'il éradique la totalité de la végétation sur son lieu d'application. Il s'utilise en pré-levée et agit après la germination de la graine, quand la plante a commencé à grandir.
Introduit sur le marché par Monsanto en 1974 sous le nom commercial de Roundup. Il est aujourd'hui répandu mondialement et surtout utilisé comme désherbant du maïs, du soja et du coton. Sa consommation mondiale a atteint 850 000 tonnes en 2015 (soit une moyenne de 2,4 kg/ha). L'introduction des cultures génétiquement modifiées (GM) tolérantes au glyphosate (ex. : Roundup Ready) a permis d'utiliser cet herbicide de manière beaucoup moins restreinte, ce qui a propulsé ses ventes. Depuis l'introduction des cultures GM en 1996, la quantité de glyphosate utilisée mondialement a augmenté de presque 15 fois, alors que ces cultures reçoivent environ 56 % de tout le glyphosate appliqué mondialement.
Les herbicides à base de glyphosate qui représentait aux USA 15% du total en 1996 sont passées à 89% en 2006. 60.000 tonnes d'herbicides ont été utilisées en 2018 sur le soja (soit en moyenne 3kg/ha).
Corteva, constituée à la suite de la fusion de Dow Chemical et DuPont en 2017, est le rival de Bayer et menace la mainmise de celui-ci sur les herbicides (5 milliards de chiffre d'affaire en 2018). Corteva lancera en 2020 son soja OGM résistant à Enlist. Pionner, marque de semence phare de Corteva, utilise depuis 1990 les gènes de Monsanto sous licence. Ces deux géants vont s'affronter aux USA mais aussi au Canada, en Argentine, au Brésil, au Chili et en Chine, la porte aux OGM étant fermée en Europe. Syngenta, troisième grand groupe et aussi à l'affut en ayant obtenu des licences pour les gènes Xtend de Bayer.
Si le glyphosate a été classé cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer de l'OMS en 2015, le 2,4-D est lui classé « possiblement cancérogène » soit un cran en dessous du risque attribué au glyphosate. Donc pas d'éclaircie, question santé à l'horizon.
Vergerette du Canada, résistante au glyphosate
Parmi les plantes résistantes observées aux USA et au Canada, on citera l'hippuris (Hippuris vulgaris), l'amarante tuberculée (A. turberculus), le quelite, le kochia à balais (Kochia scoparia), l'herbe à poux (Ambrosia trifida), la vergerette du Canada (Conyza canadensis), l'amarante de Palmer (Amaranthus palmeri) et la moutarde des oiseaux (Brassica rapa L.).
La résistance des mauvaises herbes au glyphosate est un grave problème, car cela augmente non seulement les risques pour la santé et l'environnement, mais aussi les coûts pour les producteurs. Monsanto a ainsi commencé au début des années 2010 à offrir des rabais aux agriculteurs qui utilisaient des herbicides autres que le Roundup pour contrôler les plantes résistantes au glyphosate.
Ces résultats sont confirmés par les travaux menés par Chloé Salambier, Susanna Grosso et Jean-Marc Meynard en Argentine qui montrent que le développement de la monoculture de soja a induit des résistances sur les mauvaises herbes telles que la folle avoine (Avena fatua) ou le sorgho d'Alep (Sorghum Halepense) et que le nombre de plantes résistantes est corrélé avec le nombre d'applications de glyphosate par an dans la rotation. Cette étude montre aussi que le nombre d'application de glyphosate et directement lié à la fréquence de retour du soja dans la rotation. Un soja qui revient une année sur 2 nécessite 2 applications alors qu'un soja mené en monoculture nécessite 4 applications.
En Europe une étude a montré que les sols sont aussi largement contaminés par le glyphosate et ses métabolites qui sont les molécules les plus représentées (respectivement 2 mg et 1,9 mg /kg de terre).
Conclusion : l'usage des plantes GM résistante au Roundup, se traduit dans le temps par une augmentation de l'usage des herbicides, puis par le lancement de nouvelles variétés de semences résistantes à de nouveaux herbicides. Ces produits et leurs métabolites se retrouvent dans les sols et les eaux et au final contamine l'homme.
On voit bien que l'enjeu de l'arrêt du glyphosate en France est bien plus grand qu'il n'y parait. Derrière le glyphosate se cache l'économie des semences OGM. Car on est en droit de se demander si l'on interdit l'usage du glyphosate en France, pourquoi dans ce cas autoriser l'importation de soja GM cultivé avec celui-ci.
La France sera-t-elle en mesure de sortir de la spirale infernale de l'usage des herbicides et des pesticides en général ? Rien n'est moins sûr à la publication de la consommation de pesticides en 2018 qui a fait un bon de 25%. Mais tout espoir est permis en ce début d'année 2020.
- Source :
Jacob Bunge. Un rival du Roundup menace la mainmise de Bayer sur les herbicides. Wall Street Journal. Traduit en français dans le journal L'Opinion du 8 janvier 2020.
Nicolas Soumis. le glyphosate, l'herbicide le plus utilisé dans le monde. Equiterre. 2018
Salambier C. et Al. Les variétés de soja tolérantes aux herbicides, moteur de la spécialisation agricole dans la région pampéenne argentine. Agronomie, Environnement et sociétés. 2014
Silva. V and Al. Pesticide residues in European agricultural soils – A hidden reality unfolded. Science of the Total Environment 653 (2019) 1532–1545