Du concept à la technique
Gestion du pâturage
Système herbager bovin pâturant 100 % HERBE
Pâturage libre, pâturage tournant
L’herbe pâturée est un aliment équilibré, d’excellente valeur alimentaire mais qui évolue sur l’année avec un pic de qualité au printemps et à l’automne à la reprise.
Ainsi, l’optimisation de la finition des animaux au pâturage réside dans une gestion fine des ressources fourragères pour apporter qualité et quantité nécessaire et répondre aux besoins des animaux toute l'année, en fonction des produits souhaités : veaux (4 à 8 mois), jeunes bovins mâles (12 à 24 mois), génisses (24 à 36 mois), bœufs (26 à 48mois).
La gestion du pâturage peut se raisonner de plusieurs façons selon la disponibilité en surfaces et la qualité des sols. Le pâturage libre avec un faible chargement peut présenter de très bonnes performances mais nécessite des surfaces importantes (ou un chargement faible). Ce type d’exploitation faisant le choix du pâturage libre peut pratiquer la transhumance ou utiliser des espaces communaux.
Dans des fermes qui disposent de moins de surface, et où le potentiel agronomique des sols est potentiellement plus important (sols profonds, bonne pluviométrie), une optimisation de la valeur de l’herbe et de son assimilation passe par la mise en place d’un pâturage tournant en paddocks, qui permet une intensification (relative) à l’hectare.
Le pâturage tournant permet d’optimiser la pousse de l’herbe au printemps grâce à un chargement instantané important, une durée de pâturage courte et un temps de retour qui laisse l’herbe se reconstituer en quantité et en qualité entre deux pâtures. L’IDELE et le réseau des CIVAM préconise une gestion du pâturage qui permettent aux animaux la valorisation d’une herbe « feuillue » entre 5 et 15 cm (IDELE - fiche Autosysel ; MORSEL, 2019).
Pour cela, les éleveurs déterminent : une surface de base, qui sera uniquement pâturée et représente la surface minimale nécessaire au troupeau en période de pleine pousse d’herbe (0,25-0,30 ha/UGB), une surface complémentaire, qui sera fauchée et servira d’ajustement aux besoins en pâturage dans les périodes plus creuses.
Un déprimage pratiqué assez tôt sur la surface complémentaire permettra de nourrir les animaux en sortie d'hiver, sans nuire à la quantité de foin récoltés. Pour ne pas pénaliser les foins, il faudra sortir les bêtes de la surface complémentaire à partir d’un certain stade de montée des épis (la floraison des merisiers est un repère) et entrer alors sur la surface de base, qui sera découpée en paddocks sur lesquels les animaux tourneront tous les 4 à 5 jours (maximum de 6 jours, pour préserver les nouvelles repousses d’herbe).
Pour apporter une sécurité digestive, notamment au printemps, il peut être conseillé de mettre un fourrage cellulosique appétent à disposition (foin fibreux ou paille, 1 à 2 kg/jour) pour compenser la teneur en eau de l’herbe, sa faible teneur cellulosique et sa richesse en protéines.
Lorsqu’un paddock est pâturé, descendre suffisamment bas favorise la pousse du trèfle, mais en dessous de 5 cm, le risque est d'affaiblir les plantes en les forçant à puiser dans leurs réserves (cf courbe de croissance de l'herbe). En général les éleveurs n'entrent pas sur un paddock tant que l’herbe n’a pas atteint 20-25cm pour les bovins. Le respect d’un temps de retour de 30 à 50 jours selon la dynamique de croissance de l’herbe est généralement observé.
Composition des prairies
La composition de la prairie peut permettre de maintenir plus longtemps dans la saison la pousse d’une herbe de bonne valeur alimentaire : mélange graminée-légumineuse à minima, voire prairies multi-espèces. Pour un paddock à dominante de graminées précoces (ray grass, dactyle, etc), un temps de retour trop important peut générer des refus car ces plantes ont des feuilles qui jaunissent plus rapidement. Il est alors possible de le sortir du cycle pour le réserver à la fauche.
Choix des espèces, implantation des prairies temporaires
Pour maximiser l'herbe pâturée dans la ration, le choix des espèces composant les prairies temporaires est essentiel. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte : la précocité, la période d'épiaison, la valeur nutritive de l’espèce et l'orientation de la prairie, entre fauche et pâture. Les prairies multi espèces répondent au mieux au besoin des animaux.
Lors du semis, un équilibre doit être recherché entre graminées et légumineuses, notamment le trèfle, qui peut avoir tendance à prendre le dessus sur d’autres espèces. Une base de 3 à 4 kg de trèfle blanc (soit 650 graines par m²), dans une association avec 12 kg de Ray grass anglais et 8 kg de fétuque élevée semble être un bon compromis. Les variétés mélangées doivent avoir des périodes d’épiaison similaires pour gérer ce stade de perte de valeurs nutritives.
Maintien d’une flore favorable sur prairies permanentes
Le bon fonctionnement écologique et agronomique d’une prairie permanente, sa capacité à résister aux aléas climatiques et à nourrir un troupeau de ruminants de manière équilibrée va fortement dépendre de sa composition, elle-même sous le contrôle des pratiques d’élevage. Les pratiques de pâturage vont directement influencer la composition des prairies : un pâturage de début de printemps aura tendance à favoriser le trèfle blanc, un pâturage de fin de printemps, le dactyle aggloméré (Morsel, 2019).
Figure 1 : Impact de l’intensité de pâturage (gauche) et de la gestion du pâturage sur la composition botanique des parcelles
Source : Voisin, 1960 d’après Klapp et Jones.
L'essentiel est de bien connaître ses types de parcelles (précocité, espèces présentes) afin d’arriver à pâturer au moment idéal, et de pouvoir jouer sur les complémentarités d'espèces et de surfaces. Une grande diversité de milieux permet d'engraisser les animaux à l'herbe. La plupart des éleveurs qui témoignent se basent sur des prairies naturelles. Ils valorisent également des prairies temporaires ou des zones à végétation semi naturelle comme les zones humides, un bon tampon pendant les périodes de sécheresse.
Système d’engraissement à l’herbe conservée (limitation du pâturage, ration mixte)
Certains systèmes maintiennent un engraissement à l’auge toute en remplaçant une partie des rations classiques par de l’herbe conservée (ensilage ou enrubannage). Le projet CAP protéines Elevage a testé plusieurs adaptations de régimes à base de céréales ou ensilage maïs pour la finition de jeunes bovins ou vaches de réforme.
L’introduction d’herbe conservée dans les régimes à base de céréales donne de très bons résultats et se traduit par une baisse des consommations de céréales et de tourteaux sans impacter les performances de croissance. Les résultats sont moins notables pour les systèmes à base de maïs. Ce type de systèmes nécessite une très bonne maîtrise technique des récoltes de l’herbe, des conditions météo favorables et une bonne conservation et implique une distribution pouvant être plus difficile dans le cas de l’enrubannage.
Le projet CAP élevage pointe également un frein à l’augmentation de la part d’herbe conservée en substitution des rations classiques : pour une augmentation de 30 % d’herbe conservée ingérée, le projet chiffre un besoin en surface complémentaire de 2 à 3 ha de prairie pour 30 Jeunes Bovins.
Zoom sur le système ovin
La gestion des lots au pâturage est également importante pour mettre en adéquation les besoins alimentaires des animaux et la valeur nutritionnelle apportée par les prairies disponibles. Par exemple, dans les systèmes ovins, la séparation des couples mères-agneau(x) en différents lots selon le nombre d’agneaux peut être intéressant car les besoins des brebis ayant deux agneaux à allaiter est supérieur de 40% par rapport à un seul agneau (Prache et Thériez, 1988).
Comme pour les systèmes bovins d’engraissement à l’herbe bovin, plusieurs modes de gestion de pâturage se retrouvent chez les éleveurs, du pâturage continu sur prairies naturelles au pâturage tournant sur prairies ou sur surfaces fourragères diversifiées (prairies + dérobées).
Gestion du troupeau
Les vêlages
Caler la période des naissances aux périodes de pousse de l’herbe est important pour pouvoir engraisser au mieux des animaux au pâturage. Valoriser l'herbe au bon stade et adapter sa conduite du troupeau sont les secrets d'une bonne finition au pâturage.
Le vêlage de printemps permet d'ajuster la période de forts besoins des animaux à la période de pleine pousse de l'herbe. Pour ces mères, l'hiver correspond au tarissement ce qui permet de simplifier leur ration. Le sevrage des veaux est nécessaire avant la finition pour obtenir les meilleures performances : l’âge au sevrage est donc à adapter selon la période de vêlage. Pour le vêlage de printemps, les veaux peuvent être sevrés à 6 mois avant mise à l’herbe de printemps et 90- 120 j de finition.
Le vêlage d'hivers et d’automne permet d'étaler la période de vente et de passer plus facilement une période de sécheresse l'été, au moment du tarissement. Pour les vêlages d’hiver, les veaux peuvent être sevrés en été avec une finition de 60-90 jours à l’herbe d’automne.
Témoignage
« Concernant les veaux nés en mars, ils sont triés début juin. Les femelles restent sous les mères sans complémentation. Les mâles sont également sous leurs mères mais reçoivent une complémentation de méteil en plus du pâturage, avant d'être vendus en broutards ou veaux rosés. A conduite égale, les femelles sont grasses beaucoup plus vite. Ne pas donner de complémentation aux femelles permet aussi de débuter leur éducation. C'est important car elles finiront par renouveler le cheptel ou seront engraissées à l'herbe en génisses lourde » - Extrait du témoignage de Jacques Gauvreau, éleveur bovin en Corrèze en GAEC – Engraisser des bovins au pâturage – Agriculture Durable de Moyenne Montagne.
L’engraissement
Le principe de l’engraissement est d’assurer la couverture musculaire et graisseuse des animaux destinés à la boucherie pendant les stades de croissance, en valorisation des aliments et des surfaces disponibles sur l’exploitation, ainsi que la main d’œuvre et les équipements, dans le but de capter une meilleure valeur ajoutée que pour un animal maigre.
Lors de l’engraissement des animaux à base d’herbe, la composition énergétique ou protéique de la ration distribuée peut nécessiter un allongement de la durée du cycle de production pour arriver au poids carcasse et à l’état d’engraissement voulu.
Les aléas climatiques mais aussi le rythme de croissance des bêtes peut retarder le moment où l’animal est prêt pour l’abattage. Cet allongement de la période de croissance peut permettre de mieux faire face aux fluctuations de prix de vente et aux périodes de sécheresse. Si un animal n’est pas prêt à la fin d’une saison de pâturage, il passera l’hiver sur la ferme et reprendra sa croissance au cycle de pâturage suivant, au printemps d’après.
Selon son âge, il pourra soit être maintenu en état l’hiver (animaux jeunes comme les génisses de première année) soit perdre un peu de poids et le reprendre rapidement au printemps (animaux en âge de se reproduire). Il s’agit de « l’effet accordéon », qui est une aptitude physiologique des ruminants à reprendre au printemps le poids qui a pu être perdu pendant l'hiver. Cette aptitude est donc intéressante à exploiter par les éleveurs cherchant à avoir des systèmes herbagers économes, en particulier pour l’engraissement de vaches de réforme, de génisses ou de bœufs.
La complémentation (2 à 5 kg de concentrés) est une option pour avancer les sorties (raccourcir la finition). D’après l’IDELE, elle peut être nécessaire pour finir les animaux à plus forts besoins (génisses, races tardives) ou lorsque la qualité de l’herbe se dégrade (été ou automne). L’intérêt de la finition à l’herbe perdure si cette dernière apporte au moins les 2/3 des Unités Fourragères (UF) de la ration.
La durée d'engraissement des réformes varie par exemple de quelques mois à un an, selon la période de vêlage ; elle dépend donc fortement des choix techniques réalisés sur la gestion des pâturages et sur l’étalement souhaité des ventes en cours d’année.
Dans le cas des vêlages d’automne, une période de vêlage fin mars semble appropriée : les mères profitent de la pousse de l’herbe pour le vêlage puis les vaches taries peuvent s’engraisser avec la pousse automnale.
Celles ayant vêlé au printemps passeront l'hiver dehors après le sevrage des veaux, où elle se maintiendront en état avant de pouvoir s'engraisser au printemps suivant, dès le démarrage de la pousse de l'herbe.
Un affouragement trop riche en énergie et/ou un apport en protéines insuffisant durant la période de croissance ou d’engraissement conduit à un dépôt de graisse précoce et indésirable. Cela a pour conséquence une mauvaise valorisation du fourrage. En effet, une couverture de graisse trop importante nécessite jusqu’à 40% d’énergie supplémentaire pour obtenir le même accroissement. En été, les herbages couvrent entièrement les besoins en phase d’engraissement pour un accroissement journalier moyen de 800 g. Seul un apport en sels minéraux est nécessaire (FiBL – Engraissement au pâturage).
Pendant la finition l’apport en énergie doit être augmenté de telle façon que le poids à l’abattage et la couverture de graisse exigée soient atteints.
Pour les animaux en croissance comme les veaux, il faut fournir les besoins en croissance et en engraissement au même moment, c’est à dire un fourrage de très bonne qualité sur toute la période d’engraissement. Les périodes où les fourrages de qualité sont susceptibles de manquer (sécheresse) entraînent parfois des changements de ration pour la finition d'un lot. Ainsi, les éleveurs s'orientant sur la finition à l'herbe, cherchent souvent à produire des génisses, bœufs, ou vaches de réformes. Cette orientation implique de garder les animaux plus longtemps sur la ferme que pour la production de broutard par exemple. De ce fait, une attention particulière est à observer au moment de la mise en place de cette conduite pour que l’élevage ne se retrouve pas en sureffectifs.
La finition en élevage ovin
Pour les éleveurs ovins, dont la production principale sont les agneaux qui ont un cycle de vie court, la production d’agneaux d’herbe passe systématiquement par un calage des agnelages permettant de profiter du pic de croissance de l’herbe au printemps, à faire coïncider avec les besoins des brebis qui atteignent un pic un mois après l’agnelage.
A partir d’avril, la mère bénéficie, au pâturage, des premières pousses d’herbe riches en azote. La croissance de l’herbe maximale de mi-mai à début juin coïncide ainsi avec le pic de lactation, période où les brebis ont les plus forts besoins. Aucune complémentation en aliments concentrés n’est nécessaire.
D’après le projet Biovandes portant sur la production d’agneaux à l’herbe (voir bibliographie), la pousse de l’herbe ralentit avant que la plupart des agneaux soient engraissés. Ils nécessitent alors une complémentation en concentrés pour leur finition. Généralement constitué de céréales, il est distribué si possible au pâturage et sans excéder 40 kg par agneau.
Les agnelages de fin d’automne sont généralement destinés à la production d’agneaux de Pacques, élevés et engraissés intégralement en bergerie.
Afin de répondre à un besoin d‘étalement de production, les éleveurs peuvent envisager sur plusieurs solutions, à travers la production d’agneaux de report en ralentissant la croissance des agneaux (modulation des aliments distribués), en étalant les dates d’agnelage ou en réalisant plusieurs périodes d’agnelages avec des races qui se désaisonnent naturellement.
Néanmoins, les agneaux produits en contre-saison nécessiteront systématiquement davantage de concentrés, induisant un surcoût alimentaire.
Génétique / alimentation à l’herbe
Le choix de la race n'est pas un élément déterminant. Contrairement aux idées reçues, avoir des animaux de race rustique n'est pas primordial pour réaliser de la finition au pâturage. De nombreux éleveurs réalisent la finition à l'herbe avec les animaux de leur terroir : Limousines en Limousin, Charolaises, Salers ou Aubrac en Auvergne, races mixtes ou rustiques. Ce sont les choix de conduite des animaux (date de vêlage, élevage des jeunes...) et les choix de système (chargement de l'exploitation, types d'animaux commercialisés) qui importent.
La race est le principal facteur de variation de la quantité et de la répartition de gras sur les carcasses, notamment à travers un gabarit et une capacité d’ingestion (CI) spécifique, qui représentent deux caractéristiques essentielles pour l’engraissement.
Certains éleveurs orientent leur sélection génétique vers des animaux herbagers, avec un forte capacité d'ingestion. D'autre font le choix de races plus rustiques pour faciliter la mise en place de cette pratique.
Pour l’engraissement des mâles, moins précoces à l’engraissement que les femelles, l’utilisation ou le croisement avec des races herbagères plus précoces comme l’Angus ou la Hereford est parfois envisagé pour développer des systèmes de production de bœufs produits à l’herbe (INRA, 2015), qui peuvent être abattus plus jeunes pour un état d’engraissement donné, en acceptant de produire des carcasses qui peuvent être plus légères car ce sont des animaux de plus petits formats.
Figure 3 : Classement des races bovines allaitantes selon leur précocité à l’engraissement
(Source : Mazenc, 2018)
En élevage ovin, le cheptel peut être constitué de brebis de race herbagère. Le croisement avec des béliers de race précoce, type Charmois, accélère également la croissance des agneaux sans altérer la conformation.
Alimentation et éducation des jeunes en pâturage
L’éducation des jeunes, un passage primordial pour une meilleur valorisation de l'herbe
Là encore, contrairement aux idées reçues, l'animal est rarement limité par son temps d'ingestion mais plutôt par la capacité du rumen en volume. Les projets menés par le réseau Agriculture Durable de Moyenne Montagne (ADMM) préconisent donc d’offrir des aliments grossiers dès les premiers temps de vie afin d'augmenter le potentiel de valorisation des fourrages. Pâturer de l'herbe fraîche, oui mais de l'herbe mâture : un bon compromis entre protéine, azote et fibre. Des temps de retour suffisamment long entre deux passages de pâture le permettent (aux alentours du mois). Outre l'éducation alimentaire du troupeau, ces critères peuvent se sélectionner génétiquement à travers le choix de la souche du troupeau et de la race. Quelques éleveurs assument une éducation alimentaire stricte dans ce sens. L’état des animaux recherché est inférieur aux standards attendus dans un premier temps. Leur développement musculaire et la finition viendront assez facilement plus tard.
Valorisation / commercialisation
Qualité des viandes
Un engraissement de longue durée permet d’augmenter considérablement la part de gras intramusculaire. Appelé gras persillé, c’est ce dernier qui est recherché pour la qualité organoleptique de la viande.
Chez les bovins, comme chez les ovins, l’alimentation à l’herbe fraîche augmente leur composition en acides gras polyinsaturées (AGPI) dont les Oméga 3 font partie. Une synthèse bibliographique récente (Normand et Gruffat, 2023) montre que comparativement à une finition à base d’ensilage de maïs ou de concentré, l’utilisation d’herbe dans la ration de finition des bovins permet de diminuer la teneur en lipides totaux de leur viande, tout en en augmentant les proportions des acides gras (AG) connus pour leurs propriétés bénéfiques sur la santé humaine. Cette étude précise que la forme de présentation de l’herbe joue un rôle important. Ces effets sont particulièrement marqués pour les gros bovins finis au pâturage, lorsque l’herbe consommée est jeune et feuillue. L’herbe conservée sous forme d’ensilage a un impact légèrement plus faible sur les teneurs en acides gras polyinsaturés n 3 (AGPI n 3) de la viande que l’herbe fraiche. La complémentation au pâturage avec du concentré ou une finition à l’auge avec de l’ensilage de maïs ou du concentré après une période de pâturage conduisent à une viande un peu plus grasse et moins riche en AGPI n 3 qu’avec une finition uniquement à base de pâturage.
Concernant les qualités organoleptiques des viandes (couleur, goût et tendreté), les connaissances sur le sujet sont peu nombreuses. Il est reporté que la couleur de la viande en engraissement à l’herbe serait plus rouge que les autres, mais les résultats sur l’impact de l’engraissement sur la couleur de la viande ne sont pas homogènes : certaines études portées sur les carcasses entières dans les abattoirs, indiquent que le type de ration ingérée semble également avoir un impact sur la couleur du gras de couverture des bovins, certains auteurs ayant rapporté une pigmentation jaunâtre sur les animaux nourris à l’herbe, en faisant le lien avec certains carotènes spécifiques, effectivement plus présents dans les tissus des ruminants nourris à l’herbe, l’ensilage de maïs ne contenant que très peu de ce pigment.
Toutefois, cette observation n’est pas systématiquement possible à l’œil nu chez les bovins, et ce n’est jamais le cas chez les ovins. Des retours d’expérience montrent qu’il n’y a pas forcément de différence (Chambres d’agriculture France, 2015).
Par ailleurs, plusieurs effets peuvent d’ailleurs être confondus, comme la formation d’une couleur jaunâtre plus liée à l’oxydation des lipides qu’à la teneur en carotènes (Morsel, 2019).
Concernant le goût et la tendreté, les retours de terrain (consommateurs, bouchers et éleveurs pratiquant la vente directe) ainsi certaines études menées dans le cadre des projets Valomac et ADMM mettent en évidence l’amélioration de la tendreté de la viande grâce à l’herbe et au pâturage (SIDAM, 2018).
Filières
Sur un mode de commercialisation en circuit court, la finition au pâturage est bien valorisée. Les qualités organoleptiques des produits sont reconnues par les consommateurs, et ils bénéficient d’une image justifiée d'un mode d’élevage respectueux de l'environnement.
Pour les circuits de commercialisation longs, ces gages de qualité ne sont pas encore suffisamment reconnus et valorisés. Dans la grande majorité des cas, cette pratique n'induit aucune plus-value sur le prix d'achat par rapport à des animaux finis à l'auge.
La conformation des animaux est un élément déterminant pour la rémunération de l’éleveur en filière longue. Quelques projets traitent de ces aspects pour les animaux engraissés à l’herbe ; les défauts de carcasses le plus souvent observés, sont une conformation peu satisfaisante et des poids de carcasse peu valorisable par les filières, défauts essentiellement rencontrés sur des races précoces.
L’hétérogénéité des carcasses est également une problématique évoquée par les opérateurs de l’aval. Les résultats du projet Bioviandes, montrent que parmi les exploitations enquêtées, en bovin, les carcasses produites sont très hétérogènes. Seuls 2 élevages sur 8 obtiennent des carcasses conformes aux attentes de la filière (> 320 kgc et R = 3).
L’atteinte de conformation par l’engraissement à l’herbe semble ainsi relativement difficile. Au vu de l’absence de limite d’âge de vente, sauf dans le cas du veau rosé, cet objectif peut être atteint sur un temps long, mais il peut poser d’autres problèmes, notamment économiques.
Dans la mesure où les impacts de la viande engraissée à l’herbe sont positifs, mais peu valorisée dans les circuits longs de commercialisation, la constitution d’une filière spécifique est aujourd’hui soulevée.
A noter que contrairement à la production d’animaux engraissés exclusivement à l’herbe, il existe des débouchés de valorisation spécifiques d’animaux engraissés avec des rations maximisant la part d’herbe (Cusset, 2020).
Plusieurs marques privées issues de la GMS ou de groupements de producteurs essaient de différencier les animaux produits à l’herbe, avec des niveaux variables d’exigence sur la phase d’engraissement : c’est le cas par exemple de la marque «Bœufs Prim’Herbe » qui s’inscrit depuis 2020 dans la démarche « Filière Qualité Carrefour » afin de valoriser des génisses et bœufs élevés avec un minimum de 35 % de MS d’herbe dans la ration, de la marque « Bœuf à l’herbe », mis en place par un groupement d’agriculteurs 100 % Herbe, en lien avec les réseaux CIVAM et le Centre d’étude pour le développement agricole plus autonome (CEDAPA) ou de la récente marque « alt.1886 » issue du projet Valomac dans le Massif central, qui elle valorise des exploitations avec au moins 75 % de la SAU en herbe et une pratique de pâturage, sans pour autant poser de condition sur la phase de finition.
Économie
Plusieurs études concluent qu’à performance de finition (durée, poids) presque équivalente, l’avantage économique de ce mode d’engraissement est notable. Une étude réalisée par l’institut de l’élevage (Mauron 2005 et 2009) compare des animaux finis à l’herbe sur des prairies de ray gras anglais trèfles blancs et des animaux finis à l’auge. Pour des génisses en filière viande (charolaises), le coût est de 0,55€/kg carcasse au pâturage contre 2,72€/kg carcasse à l’auge. Dans les deux cas, la durée de finition n’est supérieure que de 2 à 6 jours et le gain de poids carcasse n’est inférieur que de 5 à 6 kg au pâturage par rapport à une finition à l’auge. Des travaux similaires réalisés par le Civam du Haut Bocage et les Chambres d’Agriculture de Lozère et des Deux Sèvres confirment qu'une ration herbagère coûterait jusqu’à cinq fois moins cher par animal qu’une ration à l’auge, et ce à poids carcasse proches. Les résultats technico économiques obtenus chez un éleveur du groupe et présentés ci-dessous montrent que même dans le cas où le poids et le prix de vente sont plus faibles (ce qui est loin d'être une généralité), le bilan sur la marge est gagnant !
Le niveau de rémunération des éleveurs semble donc maintenu avec une ration moins onéreuse et une moindre soumission aux variations interannuelles des prix des matières premières. L’étude économique réalisée par la Fédération des Centres d’initiatives et de valorisation de l’agriculture et du milieu rural (CIVAM) en Limousin (Morsel, 2019), souligne également la résilience économique des systèmes de finition à l’herbe en comparant trois systèmes naisseurs-engraisseurs coexistant dans la zone de piémont.
En revanche, l’allongement de la durée d’engraissement induite par les systèmes 100 % herbe, notamment pour les mâles, peut avoir des répercussions non négligeables sur la gestion économique des exploitations. Cette pratique implique une immobilisation de capital pour l’éleveur et un besoin de trésorerie d’avance. C’est particulièrement le cas pour la production de bœufs, animaux lourds et gras vendus aux alentours de 4-4,5 ans, où les premières années nécessitent une vigilance économique avant d’atteindre un cycle fonctionnel. En outre, la possible diminution du cheptel reproducteur associé à cette pratique est souvent vécue comme une perte de capital et une perte économique (diminution de l’aide couplée bovins allaitants). C’est pour faire face à cet inconvénient que l’utilisation d’animaux précoces est préconisée (en particulier pour l’engraissement des bœufs).
Satisfaction, plaisir et confort de travail
Une fois le système pensé pour maximiser la pâture, le temps gagné est considérable pour les éleveurs pratiquant l’engraissement à l’herbe. La première année, il faut mettre en place les clôtures et les points d’abreuvement. Les autres années, il n’y a plus qu’à changer les animaux de parc de pâturage. Globalement cette pratique se caractérise par plus de travail en extérieur et une utilisation moins récurrente du tracteur. Pour beaucoup d’éleveurs, ce type de système contribue à l’amélioration de leur qualité de vie.
Ce temps libre peut être utilisé pour passer plus de temps avec les animaux et comprendre leur comportement, pour dresser un chien de troupeau, s’investir dans des réseaux ou encore pour avancer sur des projets personnels.
Les projets du réseau ADMM et Bioviandes dans le Massif central font néanmoins état de certains éleveurs qui évoquent une gestion plus complexe des lots, en période estivale, saison où un pic de travail peut être atteint avec les travaux liés à la fenaison.
La charge de travail (et son ressenti par l’éleveur) reste donc à raisonner en fonction du système d’exploitation dans son intégralité, et des objectifs de l’éleveur. De manière générale, l’engraissement à l’herbe demande plus de maitrise des ressources de l’exploitation et notamment plus de préparation des animaux pour plus d’adaptation à la ressource (Cusset, 2020).
Services environnementaux et résilience climatique
Les atouts des systèmes « herbe » pâturant extensif
Le projet Life Beef Carbone, piloté par l’Institut de l’élevage, s’est engagé dans chiffrage de toutes les sources émettrices de carbone dans les élevages. Il apparait que le système herbe présente une empreinte carbone plus faible que des systèmes moins herbagers. La comparaison entre les systèmes à l’auge et ceux à l’herbe témoignent de bilans énergétiques et de gaz à effet de serre (GES) en faveur des systèmes d’engraissement à l’herbe, même rapportés à l’unité produite (d’après Morsel, 2019).
Figure 4 : Bilan des gaz à effet de serre des différentes systèmes présentés
(Source : Elodie Cusset, VetAgro Sup, 2020, d’après N. Morsel, 2019)
Une prairie pâturée de manière optimale a par ailleurs un fonctionnement écologique plus intense et capte plus de carbone qu’une parcelle en culture. D’après la publication du Commissariat général au développement durable en mars 2019, il est globalement établi qu’« au sein des écosystèmes agricoles, les terres cultivées émettraient de l’ordre d’un million de tonnes de CO2eq/an tandis que les prairies en séquestreraient près de 3 millions de tonnes/an».
Au-delà de l’empreinte carbone, les systèmes pâturant avec engraissement à l’herbe étudiés par le réseau ADMM en 2019 sur 11 fermes réparties sur le territoire français (ADMM, 2019) présentent tous de très bons indicateurs environnementaux. De fait, les types de prairies valorisées par les élevages (humides, sèches, extensives, parcours) ainsi que les IAE arborées (haies, lisière bois, sous-bois, landes…) expliquent notamment une part très significative de surfaces en biodiversité. Ces systèmes présentent également une faible intensité énergétique globale, une faible pression d’azote /ha, ainsi que des soldes azotés faibles.
Dans une mise en perspective des systèmes herbagers, l’engraissement à l’herbe présente ainsi plusieurs atouts certains : moindre utilisation des terres cultivées (pas de concurrence avec l’alimentation humaine), entretien d’un potentiel de biodiversité à travers les prairies, absence de pollution diffuse des eaux, contribution au stockage du carbone via l’entretien des prairies.
Impact du changement climatique sur la ressource fourragère
L’impact du changement climatique sur les ressources fourragères reste difficilement prévisible mais des tendances peuvent s’observer à travers différents exercices de projection, portant sur les différences ressources des fermes (voir le témoignage OSAE de la ferme de Bellegarde « Vulnérabilité des exploitations aux changement climatique).
Plusieurs leviers de courts et longs termes sont d’ores et déjà identifiés et testés pour les systèmes herbagers :
- Gestion des prairies : implantation de cultures fourragères diversifiées, précoces pour optimiser les périodes plus propices, constitution de stocks avec des cultures dérobées fourragères estivales (moha, sorgho, millet perlé + trèfles, vesce), implantation d’espèces potentiellement tolérantes à la sécheresse (trèfle d’Alexandrie) et à fort pouvoir d’enracinement (dactyle, fétuque élevée, luzerne, très violet, chicorée, …), ajustement de la fertilisation, évitement de coupes trop rases (<8 cm) qui pénalisent les prairies, …
- Gestion des troupeaux : mise à l’herbe plus précoce avec apport de fourrage en complément, élargissement du tour de pâturage en périodes sèches aux parcours, chaumes et autres bois à proximité de l’exploitation pour couvrir momentanément les besoins des animaux, recours à la technique du report sur pied, etc. Le report sur pied consiste à valoriser la capacité de certaines plantes à conserver leur valeur nutritive après leur floraison, en particulier dans les milieux diversifiés et hétérogènes comme les milieux humides, les sous-bois, landes, pelouses et prairies riches en espèces, et ceci afin de retarder l’affouragement des animaux. Concrètement, la technique du report consiste à mettre de côté de l’herbe excédentaire de printemps en la laissant pousser en foin (avec un report pouvant aller de 1 à 8 mois après l’épiaison des graminées), sur des parcelles présentant une bonne aptitude à cette technique (diversité de graminées dont graminées à feuilles fines ou rondes dominantes (molinie, canche, brachypode, carex, jonc, diversité de légumineuses, présence d’arbustes, d’arbres avec forte hétérogénéité du milieu, bonnes réserve humide) (réseau Pâtur’Ajuste, 2014).
- Gestion de l’élevage : adaptation du chargement fonction de la ressource, en envisageant éventuellement de diminuer le nombre d’animaux (mères) ou d’abaisser le taux de renouvellement pour réduire les besoins du troupeau et permettre une meilleure souplesse du système fourrager ; exploitation des possibilités des races plus rustiques, mieux adaptées aux ressources de chaque territoire. (AP3C, 2017 ; RESYSTH, 2022).