Vers une vision holistique de la santé des sols

La seconde partie de cette synthèse technique a été rédigée à partir de la publication de Olivier Husson[1], Jean-Pierre Sarthou[2] et Michel Duru[3] intitulée « Référentiels et nouveaux indicateurs pour fonder une agriculture régénératrice » parue dans la revue Agronomie, environnement et société en décembre 2023.

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1. Eh, pH, bioagresseurs et santé des plantes

Comme les plantes, les microorganismes, y compris pathogènes, sont adaptés à une gamme pH-Eh restreinte (Rabotnova, 1959). La majorité des champignons phytopathogènes se développent dans des conditions acides et oxydées (1 et 2). Certains champignons du xylème ou du phloème préfèrent toutefois des pH neutres ou légèrement alcalin (3). Les bactéries phytopathogènes se développent principalement en conditions aérobies (oxydées), légèrement acide pour celles de l’apoplaste (2), neutre à légèrement alcalin pour les bactéries du xylème (3) et alcalin pour celles du phloème (4). Les virus phytopathogènes se développent dans des conditions alcalines à Eh relativement bas (4) mais qui correspond à des conditions de phloème oxydées (milieu très tamponné). Enfin, les oomycètes sont adaptés à des conditions légèrement oxydées et à des pH très spécifiques (5). Dans tous les cas, il s’agit donc de conditions de plantes oxydées.

Comme pour les microorganismes pathogènes, les insectes attaquent préférentiellement les plantes oxydées, ayant subi des stress variés. En effet, l’ensemble des stress abiotiques ou biotiques se traduisent en stress oxydatifs et modifient les valeurs Eh-pH des différents compartiments de la plante. Les insectes piqueurs-suceurs du phloème sont favorisés par des conditions très alcalines (4) et alcaline pour ceux du xylème (3). Les phytophages apprécient des pH plus acides (1 et 2). Ainsi, les plantes capables de maintenir leur homéostasie, soit des conditions réduites et acides dans l’apoplaste (6), réduites et neutres dans le xylème (7) et réduites et alcalines dans le phloème (8), sont peu sensibles aux maladies et aux ravageurs.

Figure 10 : Conditions Eh-pH dans les différents compartiments des plantes et conditions optimales pour le développement des bioagresseurs (Husson et al., 2021)

Figure 10 : Conditions Eh-pH dans les différents compartiments des plantes et conditions optimales pour le développement des bioagresseurs (Husson et al., 2021)


[1] CIRAD, UPR AIDA, Univ. Montpellier, olivier.husson(at)cirad(.)fr

[2] Ensat et UMR LEFE CNRS-INPT-UT3, Université de Toulouse, jean-pierre.sarthou(at)toulouse-inp(.)fr

[3] UMR 1248 AGIR, INRAE, Université Toulouse, INPT, michel.duru(at)inrae(.)fr (auteur correspondant)

 

2. Pratiques agricoles et conditions électro-chimiques des sols

Cette approche de la santé des plantes par le couple Eh-pH permet d’envisager une gestion agroécologique des bioagresseurs en maintenant la plante dans un état d’équilibre (légèrement acide et réduit) défavorable à ces derniers. C’est une approche prophylactique de la lutte contre les bioagresseurs par maintien de l’homéostasie Eh-pH de la plante. Les techniques agricoles qui favorisent une bonne structure du sol en sont un paramètre clé :

  • Le travail du sol et les passages d’engins altèrent la structure du sol ce qui joue sur la profondeur de diffusion de l’oxygène. Si le travail du sol a un impact positif à court terme, il conduit à des milieux anoxiques en conditions humides ;
  • Les amendements organiques ramènent le pH proche de la neutralité et constituent un réservoir d’électrons qui baisse et tamponne Eh. Les effluents de ruminants permettent d'enrichir le sol en taxons anaérobies via la transformation de la matière organique dans le rumen ;
  • Le taux de couverture du sol et la diversité végétale cultivée influencent positivement le couple Eh-pH en fonction de la nature et de la quantité de biomasse restituées au sol (exsudats racinaires, reliquats, couverts végétaux…). Véritables piles à hydrogène, les plantes rechargent le sol en électrons et en protons grâce à la photosynthèse, source d’énergie essentielle pour le système sol-plante ;
  • L’irrigation ou le drainage influent fortement sur Eh car la diffusion de l’oxygène dans l’eau est 10 000 fois plus lente que dans l’air.

Tableau 3 : Pratiques de gestion adaptées aux caractéristiques chimiques (Husson et al., 2021) et biologiques (Khangura et al., 2023) des sols

Pratiques de gestion

•    Sol nu, compacté
•    Travail du sol
•    Fertilisants et pesticides de synthèse

•    Sol protégé (couverts végétaux)
•    Rotations longues
•    Perturbations du sol réduites
•    Apports organiques
•    Pas ou peu d’intrants de synthèse

Caractéristiques chimiques du sol

•    Sol oxydant
•    Favorise les bioagresseurs et conduit à l’oxydation des plantes
•    Suroxydation provoquée par l’emploi de pesticides

•    Sol réducteur, pH et Eh équilibrés
•    Protection agroécologique des cultures (homéostasie du couple Eh-pH)

Caractéristiques biologiques du sol

•    Faible diversité des microorganismes
•    Pathogènes favorisés

•    Forte diversité des microorganismes
•    Séquestration de carbone
•    Biodisponibilité des nutriments
•    Contrôle des bioagresseurs

 
3. Quel indicateur pour évaluer la santé des sols ?

L’état de santé des sols peut être évalué par divers indicateurs liés à leur activité biologique ou à leurs caractéristiques physico-chimiques. Le ratio MO%/argiles% fonctionne bien pour les sols contenant de 10 à 40% d’argiles (Johannes et al., 2017), soit la majorité des zones cultivées en France.

Plus le taux MO%/argiles% est élevé, moins les sols sont sensibles à l’érosion et à la compaction, plus ils limitent les fluctuations des variables abiotiques telles que la température, l’eau, le Eh et le pH. Au-dessus du seuil de 17%, les sols offrent des conditions très favorables à la biodiversité et à la production. Suppressifs de nombreux bioagresseurs, ces sols permettent une protection agroécologique des cultures à faible coût économique et environnemental. Inversement, plus ce taux est faible, et de manière très marquée en dessous de 12%, moins ces sols sont productifs, moins ils tamponnent les conditions de milieu et plus ils sont sensibles à l’érosion et à la compaction. L’application d’intrants exogènes (fertilisants, pesticides) est indispensable pour maintenir un niveau de production. Or ces pratiques sont oxydantes (lutte par suroxydation).

En agroécologie, la restauration des sols nécessite une période de transition plus ou moins longue selon l’état initial. A savoir que la grande majorité des sols cultivés ont des ratios MO%/argiles% inférieurs à 17% et même souvent inférieurs au seuil critique de 12%.

4. Conclusion

La restauration des sols et des écosystèmes dépend fortement du contexte pédoclimatique et socio-économique. Pour cela, définir des bonnes pratiques constitue un défi de l’agroécologie. L’approche par le couple Eh-pH fournit un cadre générique permettant d’appréhender le fonctionnement des systèmes sol – plantes – microorganismes et de mieux comprendre que toute l’énergie du système vient de la photosynthèse. Elle propose une approche préventive de la santé des cultures par maintien des équilibres Eh-pH qui jouent sur la biodisponibilité des nutriments et la sensibilité aux bioagresseurs. Ce nouveau paradigme explique pourquoi il est nécessaire d’accroître la teneur en MO des sols et de régénérer leur structure dont le ratio MO%/argiles% en est un bon indicateur.

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