Réduction des intrants
LA DÉMARCHE
Lorsque la coopérative « Nous les vignerons de Buzet » a été reprise par Pierre Philippe, Directeur Général, dans les années 2000, l'entreprise s'est structurée autour des valeurs du Développement Durable. L'entreprise avec les adhérents se fixent plusieurs exigences et l'inscrivent dans un cahier des charges strict pour préserver l'environnement et anticiper la demande sociétale.
Afin d'accompagner au mieux les adhérents, la coopérative s'appuie sur un domaine viticole la SCEA Gueyze et Domaines pour expérimenter la réduction des produits phytosanitaires. Un appartement témoin comme l'indique Pierre Philippe.
Le domaine se structure autour d'une norme qualité : le label Agriconfiance. Chaque adhérent souhaitant profiter du label doit remplir les conditions du cahier des charges au risque de voir sa rémunération diminuée.
Dans cette démarche de prévention et de plus d'observation, l'objectif fixé est de maintenir un équilibre naturel du milieu sans pour autant ne plus utiliser certaines molécules afin de ne pas pénaliser la production. Néanmoins, les traitements phytosanitaires sont raisonnés et toujours ajustés en fonction de la pression.
Au fil du temps, les traitements ont nettement diminué, certains produits type CMR ne sont plus du tout utilisés, le désherbage mécanique est favorisé, la lutte biologique mise en place.
Dans cette démarche expérimentale, l'IFT moyen du domaine est de 9,84 contre 16,53 la moyenne régionale (source : ministère de l'Agriculture). Il se décompose par :
- IFT fongicide = 6,99 dont 1,94 correspondant aux produits de biocontrôle ;
- IFT insecticide = 0,85 ;
- IFT herbicide = 2
LES SAVOIRS AGROÉCOLOGIQUES
La démarche de réduction des pesticides est initiée en 2005. Un long cheminement pour baisser l'IFT moyen du domaine de Gueyze et de l'ensemble des exploitations adhérentes à la coopérative.
De manière générale, cette baisse de l'IFT est permise par un raisonnement autour d'un suivi précis des conditions météorologiques, des modèles maladies ou ravageurs, et de zone témoin pour valider la pression exercée par une maladie ou un ravageur. Ce raisonnement permet de ne jamais appliquer 100 % des doses homologuées d'un produit phytosanitaire et d'ajuster le traitement en fonction des observations constatées. A ce jour, l'IFT fongicide est de 6,99 dont 1,94 correspondant aux produits de biocontrôle.
Pour réduire les fongicides :
Plusieurs maladies peuvent être préjudiciables pour la vigne comme le botrytis ou le mildiou.
Le botrytis : champigon responsable de la pourriture du raisin qui se déclare assez tardivement lorsque le raisin arrive à maturité. Il peut causer une perte totale de la vendange.
Depuis 2013, plus aucun produit anti botrytis est utilisé. Pour palier à ce traitement, plusieurs méthodes sont appliquées :
- Surveillance accrue de la vigne ;
- Matriser la vigueur par l'effeuillage pour aérer les grappes ;
- Favoriser l'enherbement pour mettre en concurrence ;
- Limiter les apports d'azote ;
- Orienter les parcelles sensibles vers des itinéraires de vinification choisis (vins rosés vendangés plus tôt) ;
- Maitriser le lien vigueur et sensibilité.
Le mildiou : champignon parasite qui se développe sur tous les organes herbacées de la vigne, affectionnant ceux en voie de croissance (riche en eau). Il peut entrainer d'importantes pertes de rendements ainsi que des problèmes de qualité des vins et d'affaiblissement des ceps.
Les traitements sont toujours présents pour lutter contre le mildiou mais depuis 2016 le folpel n'est plus du tout utilisé au profit de molécules moins nocives et « plus douces » pour l'environnement. Généralement, pour lutter contre le mildiou, le domaine utilise aujourd'hui le cuivre mais il est possible en fonction de la pression fongique d'utiliser des produits dits systémiques de la famille des phosphonates moins impactant pour l'environnement.
Pour réduire les insecticides :
Ces traitements phytosanitaires peuvent être très préjudiciables pour la biodiversité.
Dans ce cadre, plusieurs actions ont été mises en place pour réduire l'utilisation d'insecticides.
Aujourd'hui, l'IFT insecticides est de 0,85.
- Mise en place d'un réseau de pièges à insectes : 6 pièges qui sont relevés chaque semaine. Ils permettent d'évaluer la pression des ravageurs (cicadelle, eudemis, etc) en suivant la dynamique des populations. Couplé à l'observation régulière (perforation ou autres dégâts sur la vigne), cela permet de raisonner et limiter l'application d'insecticides ;
- Depuis 2009, le domaine s'appuie sur les insectes auxiliaires pour lutter contre l'araignée de la vigne. Par exemple, le typhlodrome, petite araignée auxiliaire se nourrissant d'autres araignées préjudiciables de la vigne. ces auxiliaires ne se trouvent pas dans le commerce. Le domaine observe une colonisation naturelle de cette araignée auxilaire notamment par une diminution de l'impact des araignées et acariens. Lorsque le domaine constate une diminution dela pression sur une parcelle, les bois de taille ou les feuilles après rognage dans les parcelles colonisées sont déposés sur une nouvelle parcelle pour une intégration naturelle du typhlodrome. Démarche d'observation assez longue mais très efficace selon le domaine ;
- Mise en place d'un cahier des charges avec les apiculteurs locaux qui permet de lister les produits utilisables en fonction de la dangerosité pour les abeilles. Plus aucun néonicotinoïde est utilisé. Depuis 2014, le domaine a intégré le label Bee friendly ;
- Développement de la confusion sexuelle : le domaine priviligie des ilots suffisamment grand de 4 ou 5 ha pour favoriser le nuage de phéromones. Si la pression est forte, couplée à des nuages importants, le procédé fonctionnera mieux. Le domaine procède à la mise en place du dispositif. Et peut être accompagné par le fournisseur pour le suivi des pressions constatées et le bon déroulement de la technique. Le dispositif est placé en fonction de la densité de chaque parcelle. La densité de plantation est de 2,20 m entre les rangs et 1,10 m entre chaque pied. Les diffuseurs d'hormones sont placés 1 rang sur deux et tous les 5 pieds. Il est opportun de doubler les diffuseurs en bordure où la pression peut être plus importante. Les diffuseurs sont repris pendant la taille et peuvent être recyclés ;
- Les produits de biocontrôle sont priviligiés dès qu'il sagit de traitement contre les ravageurs des cultures ;
- Le traitement contre la flavescence dorée est obligatoire par arrêté préfectoral. Un traitement est obligatoire mais il est possible d'appliquer un 2e traitement (facultatif) en fonction des suivis et de la pression constatées. En 2019, le domaine n'a appliqué qu'un seul traitement sur l'ensemble du domaine. En correspondance avec le label Bee Friendly, le domaine cherche à preserver les pollinisateurs et utilise le produit nommé Klartan (matière active : tau-fluvalinate) appliqué la nuit pour limiter un peu plus l'impact.
Pour réduire les herbicides :
Depuis longtemps le domaine a connu en enherbement permanent pour lutter contre l'érosion (fétuque + raygrass). Mais comme l'indique Carine Magot, ce n'est finalement pas cette couverture du sol qui limite les herbicides et l'IFT. En effet, la couverture du sol a pour fonction de couvrir le sol en permanence et de créer un paillage pouvant palier au stress hydrique en période de sécheresse, de structurer le sol en fonction des espèces choisies et d'éviter le travail du sol en profondeur, de maintenir ou améliorer les taux de matière organique et de participer au stockage de carbone et de favoriser la biodiversité inter rang. L'idée étant d'avoir un sol vivant qui participe à l'équilibre du sol et d'avoir un impact positif plutôt sur les maladies fongiques.
Depuis 2007, plus aucun produit résiduaire est appliqué. Mais il est souligné que cela peut avoir un effet contraire sur l'IFT puisque la rémanence des produits résiduaires est plus importante que les herbicides foliaires ou de contact. Cela peut créer des pic d'IFT si la pression adventice est trop forte.
Les traitements ne se font jamais en plein et la dose est toujours ajustée.
Le plus difficile reste le choix des produits qui impacte la quantité appliquée fonction de leur efficacité. Bien que la liste de ces produits soit longue, les produits de contacts sont priviligiés.
La largeur de désherbage est limitée pour laisser l'enherbement semé ou spontané le plus possible.
L'IFT herbicide à ce jour est de 2.
L'épemprage chimique est pratiqué en fonction des parcelles et des cépages. Par exemple, sur Merlot, 2 à 3 passages sont réalisés avec le produit Shark (matière active : carfentrazone-éthyle) plus un adjuvant pour limiter la volatilité du produit. De plus le domaine joue sur la largeur d'application la plus étroite possible sous le cavaillon afin de limiter la quantité apportée.
Le désherbage mécanique est pratiqué également.
Par exemple, sur la partie en conversion à l'Agriculture Biologique, 4 passages de désherbage mécanique sont effectués avec lame intercep et disque : généralement 2 passages de chaque outil mi avril et 2 autres à la mi juillet.
2 ou 3 épemprages mécaniques sont également éffectués plus ou moins au même période que le désherbage mécanique.
ZOOM sur : les couverts végétaux dans l'inter rang
Bien que l'implantation de couverts dans l'inter rang n'a pas l'objectif premier de réduire l'IFT herbicide, elle joue un rôle non négligeable sur la concurrence avec les adventices.
L'itinéraire technique se traduit :
De manière générale, le semis du couvert se fait un rang sur deux chaque année. Mais comme il y a une croissance spontanée au sein des rangs, chaque rang est malgré tout couvert chaque année.
Fin aout, un broyage est effectué sur le rang à semer.
Si une petite pluie se produit fin août ou septembre, un passage de déchaumeur est effectué à 7 – 8 cm pour préparer le lit de semence.
Le semis est réalisé en octobre avec un épandeur d'engrais avec déflecteur pour les grosses graines et une herse rotative pour couvrir. Il est rajouté un semoir pour les petites graines sur la herse pour la moutarde par exemple.
Un passage de cultipacker est réalisé s'il n'y a pas eu de pluie pour la mise en contact.
Le couvert est un mélange d'avoine (20kg/ha), de vesce (5kg/ha), de féverole (40 kg/ha) et de moutarde (3,5 kg/ha).
Le couvert n'est plus touché ou en tout cas le plus tard possible voir le laisser monter en graine et le laisser se renouveler seul.
À la mi mai, un coup de rouleau est appliqué si la végétation du couvert est trop importante (hauteur du couvert > 30 cm) pour ne pas gêner l'application des fongicides.
À l'issue de ces opérations, un mulch est créé et protège les sols.
Ainsi, l'IFT moyen est de 9,84. Ce qui est relativement bas pour la culture de la vigne.
Les produits CMR (Cancérigènes, Mutagènes, et Reprotoxiques) ne sont plus utilisés depuis 2016 et ont été remplacés par les techniques de biocontrôle.
Chaque pratique a un impact favorable sur cette diminution de pesticides et est éprouvée d'un point de vue économique. Pour arriver à ce résultat, le domaine s'appuie sur un réseau de stations météos pour optimiser l'utilisation des pesticides, sur la recherche d'un équilibre naturel du milieu (notamment en introduisant des nichoirs de différentes espèces), sur la formation et la sensibilisation des adhérents, sur l'expérimentation de pulvérisations différenciées par zonage aérien et sur le choix de molécules moins nocives pour l'environnement et la production des raisins.
INTÉRÊTS DU POINT DE VUE DE L'AGRICULTEUR
Economiques |
Agronomiques |
Environnementaux |
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Social : + Image de la production par la réponse aux défis environnementaux et sociétaux + Label AB, Norme Agriconfiance, Label Bee friendly + Sensibilisation et diffusion de bonnes pratiques |
Les difficultés rencontrées
Le domaine de Gueyze indique aujourd'hui qu'il n'y a pas de gros freins d'un point de vue technique.
Renforcer l'observation et l'appoche systémique prennent du temps mais permettent de conduire au mieux le vignoble et l'environnement dans lequel il évolue. Une adaptation de l'homme à la nature et non l'inverse.
Finalement, les freins sont plutôt d'ordres psychologiques. Faire un accepter un enherbement permanent comme une technique bénéfique à plusieurs titres et non comme un salissement de la vigne ou encore accepter quelques tâches de mildiou si la pression n'est pas préjudiciable pour la vigne. Le domaine s'appuie sur le collectif pour prendre des décisions et minimiser la prise de risque. Le domaine travaille également avec des psychologues pour analyser les résistances au changement.