Sylvie Monier

La Mission Haies est une mission technique dédiée aux bocages et aux agroforesteries. Elle est rattachée à l’association Union Régionale des Forêts et des Haies Auvergne-Rhône-Alpes.
« Dans l’arbre on s’enracine », telle est la devise de Sylvie Monier en poste depuis 2000 à Mission Haies, alors jeune ingénieure en agriculture doublé d’un BTS en gestion forestière. « Il faut la double approche, agricole et forestière et une forte sensibilité environnementale ».
Mission Haie, un accompagnement technique essentiellement agricole
Mission Haie a été créée en Auvergne en 96, suite à 2 initiatives réussies de plantation en Limagne et dans le Cantal à l’origine de 100 km planté de chaque côté !
A partir de ces sites pilotes, les acteurs du territoire, Chambres d’agriculture, chasseurs, environnementalistes, Conseils Départementaux, le PNR des Volcans et le CRPF ont souhaité créer la Mission Haie doté d’une compétence technique.
Objectif numéro 1 : enrayer la disparition du bocage en apportant des solutions techniques aux agriculteurs et replanter des haies agroécologiques.
Objectif numéro 2 : préserver l’existant, remettre la culture de l’arbre au sein des exploitations agricoles, apporter des solutions à l’entretien des haies pour contrer le discours « l’entretien des haies ça coûte, c’est une charge c’est une contrainte ». Un des moyens étant de faciliter son entretien par de la mécanisation.
De deux personnes sur l’Auvergne, Mission Haies emploie désormais 6 salariés sur Auvergne Rhône-Alpes répartis sur 3 antennes. Ses missions se sont étendues mais le fonctionnement reste le même : « on travaille en collectif toujours avec les autres acteurs du territoire pour démultiplier ». « On pose toujours plein de questions aux agriculteurs pour savoir ce qui les préoccupe et adapter nos discours ». Formé par la LPO et FNE pour favoriser la biodiversité lors des plantations ou l’entretien, Sylvie souligne que la Biodiversité « c’est pas l’approche numéro 1 des agriculteurs ». « En Auvergne, on ne parle pas biodiversité, il y a un blocage ». Par contre Sylvie trouve que l’approche agroécologique et la multiperformance des systèmes avec l’arbre, correspond bien à son métier et parle plus aux agriculteurs.
Un démarrage expérimental des litières en 2006
Tout est parti d’un agriculteur : « On a découvert la plaquette dans le Cantal chez un agriculteur qui avait une chaudière et qui au lieu de perdre un lot de plaquettes mal séchées les a mises sous les génisses. On est les pionniers sur le sujet, nos fiches techniques circulent depuis 2006 » ajoute Sylvie.
« Elles ne s’enfoncent pas, y’a moins de mouches, si la paille dépasse 90 euros c’est rentable » estimait alors l’agriculteur.
« C’était en 2006, ça n’a pas pris, il manquait les Cuma pour les chantiers de déchiquetage » estime Sylvie. Puis en 2010, le Conseil Départemental de l’Allier souhaitait absolument enrayer l’arrachage intense du bocage et contrer le préjugé sur le coût d’entretien des haies. « C’est forcément une charge quand on taille tout au carré ! » note Sylvie.
« On a martelé qu’on pouvait l’utiliser en litière » précise Sylvie. Un lycée agricole du département a été partant pour faire un plan de gestion et tester les plaquettes en litière. Mais l’hostilité des salariés de l’exploitation et des élèves fils d’éleveurs est majeure face à cette litière si différente.
Puis en 2011, la sécheresse a provoqué un achat massif de paille pour l’alimentation des troupeaux, et une hausse de son prix jusqu’à 130/140 €/tonne. « C’est à ce moment-là que les éleveurs se sont intéressés à la litière de plaquettes » témoigne Sylvie. « On a mis en place une tournée de déchiquetage, en faisant venir une déchiqueteuse de la Nièvre et de la Haute Loire avec l’aide de la Fdcuma qui a porté le dossier ». « On avait une méthode opérationnelle de cubage des branches d’arbres sur pied depuis 2010, on a mis en place un chantier d’urgence, on marquait la coupe, on la cubait, on disait à l’éleveur comment faire le chantier et la Cuma le programmait ». « On a fait 150 chantiers sur l’été, on est passé de l’expérimentation à quelque chose à grande échelle ».
Les principaux freins rencontrés
« Ce changement de pratiques a été facilité en année de crise où la paille flambe, on en a profité pour tester le plus possible différentes pratiques » estime Sylvie.
« Le bien-être et le risque de froid, globalement ont posé peu d’inquiétudes » souligne Sylvie.
Une des craintes principales a été la propreté des animaux et la gestion des mammites. « Le plus gros frein c’est l’apparence sombre et luisante de la litière, il ne faut pas remettre de la paille trop tôt. C’est déstabilisant car d’apparence c’est sale. C’est un nouveau référentiel visuel à avoir, il faut regarder la robe des animaux : Tant que les pieds et les genoux sont à peine sales, on ne remet pas de plaquette par contre quand le jarret est collant alors on remet de la plaquette, si le bas ventre est sale, il faut changer la plaquette ».
« Les animaux quand ils rentrent ils ont besoin d’un peu plus, car ils se bousculent, les déjections sont liquides, une première couche de 10 cm c’est bien puis après une sous couche de 6 à 8 cm suffit » ajoute Sylvie. La durée des litières varie en fonction du nombre d’animaux et du type d’alimentation.
Une 3ème crainte souvent exprimée a été la mauvaise dégradation des plaquettes lors de l’épandage et l’acidification des sols.
Preuve par l’exemple : « On a suivi la dégradation des plaquettes chez les 150 agriculteurs et on a comparé les fumiers et compost. Au mois de juin, aucun souci de dégradation n’a été constaté ».
Sur l’épandage, le bois amène plus de Calcium, et un peu plus de Phosphore notamment grâce au saule et peuplier, deux essences basiques. Le fumier de plaquette se comporte comme un compost, il n’a pas d’effet de coup de fouet, c’est un engrais de fonds. Par ailleurs, les agriculteurs ont observé un meilleur équilibre légumineuse graminée.
« On a souvent un frein zootechnique et agronomique au début, puis une fois qu’ils l’ont testé et pratiqué, ils disparaissent » conclut Sylvie.
Les conditions de réussites et les découvertes
La plaquette est souvent un complément à la paille. Par contre il faut qu’elle soit séchée en bâtiment précise Sylvie. « On peut même mettre 100% plaquette les années de sécheresse en entretenant la haie un peu plus ».
Après les agriculteurs ont inventé des tas d’usages au fur et à mesure ajoute Sylvie : en litière extérieure en entrée de champs ou de parc hivernaux, derrière un cornadis, sur une aire raclée bétonnée rainurée (1 m3/tous les 3 jours et les animaux ne glissent plus, dans la bétaillère).
Les éleveurs ont commencé en bovins allaitants puis ont essayé sur génisse et broutard avant de tester en vache laitière. Sur ovins, ça marche aussi. Des expérimentations ont été menées avec l’Idele qui parlent de « plaquetter les animaux » s’amuse Sylvie face à ces nouveaux mots. Dernièrement des expérimentations ont été menées avec volailles et cochons. C’est parfait pour le drainage et le grattage, sauf pour les poussins.
Il y a aussi des essais récents sur le cochon en bâtiment, « on commence à avoir des caillebottis qui s’arrêtent et sont remplacés par de la litière plaquettes. Avec 60 cm d’entrée de jeu pour les cochons en engraissement sur 6 mois, ça fonctionne, ils s’enterrent dedans, ils adorent ça, ils sont moins agressifs, ça donne des perspectives intéressantes pour l’élevage en bâtiment. Ça donne en complément un fumier intéressant ».
Un autre agriculteur, suivi par Bio15, pratiquant les plaquettes en litière depuis 15 ans à haute dose a constaté une moindre sensibilité à la sécheresse de ses prairies et 2 mois de pousse d’herbe en plus. « Il a même fait de l’enrubannage à Noel ! L’impact d’un épandage en gros volume sur les sols est un sujet à creuser qui nous intéresse beaucoup » ajoute Sylvie.
Attention toutefois à maîtriser l’origine du produit souligne Sylvie : « l’idéal est l’autoconsommation des branches peu riche en tanin. Il faut se faire accompagner par conseiller agroforestier en amont, puis un technicien par exemple de Chambre d’Agriculture dans la mise en œuvre pour que le tas sèche bien. Ce n’est pas une recette, il faut accompagner les agriculteurs dans la mise en œuvre sur le fumier aussi ».
Le développement de cette technique suppose un territoire bien mécanisé grâce souvent à une Cuma départementale.
Mission Haie fait beaucoup de formations auprès d’agriculteurs, de Cuma et de techniciens de chambre d’agriculture qui prenne le relais.
Mission Haie s’entoure toujours des acteurs du territoire afin d’avoir un discours collectif : « Quand on relance de la coupe, il faut aussi expliquer et faire de la pédagogie sinon les environnementalistes peuvent bloquer. On a associé les environnementalistes pour vérifier que nos plans de coupe étaient positifs vis-à-vis des cortèges d’espèces. On n’a pas fait de coupe à blanc, on a relancé les arbres tétards et au final les naturalistes ont repris nos discours. »
Une autre condition de réussite consiste à bien entretenir son bocage pour une meilleure productivité : « Un arbre tétard produit 4 à 10 fois plus qu’un arbre en croissance libre à l’âge adulte ».
Des résultats marquants
« Depuis 2010, dans l’Allier, les volumes de bois déchiqueté annuellement sont passés de 3000 à 33 000 t. Et ça ne baisse pas. » se réjouit Sylvie. En année de sécheresse 1000 agriculteurs soit 20% des agriculteurs de l’Allier utilise le bois en litière. Il y a un fort développement dans l’Ain, le Jura, le Doubs, la Franche Comté et la Haute Saône. Il aura fallu 15 ans pour en arriver là et avoir un déploiement à grande échelle, aidé en cela par les années de sécheresse de 2018, 2019 et 2020, où la production a été multiplié par 5 ou 10 selon les zones.
« Ce n’était pas mon rôle de m’occuper des litières, mais ça a été l’outil numéro 1 pour sauver le bocage, c’était l’énorme moyen de transformer l’espace non productif vers un espace productif. Ça nous a demandé d’investir des champs qui n’était pas de notre ressort. Ça a marché car on était ultra motivé malgré les retours négatifs du début. » Pour Sylvie l’innovation vient du terrain, notre rôle est de comprendre ce qui fait avancer un agriculteur.
Les Conseils Départementaux ont fortement soutenu ces actions en cofinançant des Cuma, en mettant des bonus, ils ont mis les services des routes à déchiqueter. Le relais par les magazines agricoles a été toujours été positif depuis 2011 sur les expérimentations en litière et a permis un bon relais.
Aujourd’hui, la Mission Haies est au service des autres, et diffuse ses résultats d’expérimentation, ses réussites et ses échecs aux têtes de réseaux agricoles efficace pour démultiplier les actions sur le terrain et travaille en partenariat avec la recherche (équipe arbre de l’Inrae de Clermont Ferrand notamment) afin de valider de nouvelles références.
De nouvelles perspectives ont été ouvertes sur l’entretien des bords de route et des ripisylves en lien avec les techniciens peu habitués à « sortir du bois » mais qui voient l’intérêt écologique et économique de valoriser cette ressource abondante de biomasse. Certains agriculteurs font désormais « clôturer les berges sur 1 à 5 m, là ou il y a le plus de bois ». Une fois qu’ils y ont pris gout les agriculteurs sont hypermotivés.
Un tout dernier sujet à creuser est la consommation de feuille par les animaux en année de sécheresse, avec un travail sur la volumétrie et la valeur fourragère. « On va commencer des suivis en ferme et un ou deux programmes de recherche pour donner des indicateurs aux éleveurs ».
« L’arbre finalement pourrait être le tampon de la sécheresse » conclut Sylvie. « Tout le travail de Mission Haie autour de la culture de l’arbre donne de la valeur à la biomasse. C’est une vraie belle histoire, la Mission Haie pourrait disparaitre, le bocage est sauvé » se réjouit Sylvie.