Une forte diversité d’adventices minimise les pertes de rendements

Le contrôle des adventices est un vrai enjeu agronomique. D'un côté une mauvaise gestion de celles-ci peut faire perdre une part du rendement et donc du revenu à l'agriculteur. De l'autre le désherbage a un coût, son utilisation systématique sélectionne une résistance de certaines adventices aux matières actives et certaines molécules se retrouvent dans les captages d'eau potable obligeant la mise en place d'un traitement curatif de l'eau. La simplification des rotations et l'usage systématique des herbicides ont favorisé l'émergence de quelques espèces adventices dominantes et compétitives telles que le gaillet grateron (Galium aparine) et le vulpin des champs (Alopecurus myosuroides) dans les céréales à paille. Ces espèces compétitives possèdent des traits liés à l'acquisition rapide de ressources (masse de graines élevée, hauteur importante, surface foliaire élevée, forte teneur en azote des feuilles et même phénologie que la culture).

Le travail qui vous est présenté montre tout l'intérêt de mieux connaître la biologie des espèces adventices, de les observer et les compter au champ, afin de raisonner ses pratiques de gestion.

Il est issu d'une étude, emmenée par Stéphane Cordeau de l'INRAE de Dijon parue dans la revue Nature Sustainability en novembre 2020.

©Stéphane Cordeau (c) INRAE 2020

L'étude est basée sur trois années d'observations des densités et biomasses adventices à quatre stades critiques de croissance des céréales d'hiver (blé et orge) dans 54 zones (36 sans désherbage et 18 avec), sur un dispositif expérimental présentant un dégradé de densité et de diversité d'espèces adventices. Les densités et les biomasses d'adventices ont été mesurées à 4 stades du développement de la céréale, de même que les composantes du rendement (nombre de pieds, nombre d'épis, nombre de grains et poids des grains).

Au total 38 espèces ont été observées mais 7 espèces représentaient 98% des observations : le vulpin des champs (39%), la véronique à feuille de lierre (18%), le gaillet grateron (14%), la pensée des champs (13%), la stellaire intermédiaire (5%,) le géranium disséqué (5%) et la véronique de Perse (4%).  Un contexte floristique typique des champs cultivés et typique de la région d'étude.

Premier enseignement, les pertes de rendement dues aux adventices ne sont pas significatives quand la parcelle est désherbée. En l'absence de désherbage la perte de rendement est en moyenne de 30% mais varie de 3 à 56% selon les communautés d'adventices.

Deuxième enseignement : toutes les communautés d'adventices ne sont pas de nature à pénaliser le rendement. Ainsi, les scientifiques ont établi que parmi les six communautés identifiées, quatre (C1, C2, C5, C6) étaient de nature à affecter le rendement (nombre d'épis par pieds et nombre de grains par épi), dans une fourchette comprise entre 19% et 56%.  Mais deux communautés (C3 et C4) ont entrainé des pertes minimes (3 et 8%). D'où l'intérêt de bien qualifier ces communautés a priori.

Troisième enseignement crucial : Les 6 communautés avaient la même richesse spécifique (nombre d'espèces) mais avaient des niveaux d'équitabilité différents. "Une communauté équitable indique que chaque membre est présent en nombre (densité) ou poids (biomasse) équivalent, équitable, identique. À l'inverse, une communauté déséquilibrée contient une ou plusieurs espèces qui dominent, qui sont en nombre, ou un poids plus important que les autres." Et cet indicateur est crucial ! Lors de cette étude, la diversité des adventices a été caractérisée et l'abondance (densité, biomasse) de chaque espèce mesurée.

Les scientifiques démontrent que l'équitabilité de la communauté en janvier, avant désherbage, calculée sur la densité des adventices est très corrélée à l'équitabilité de la communauté plus tardivement (ex. floraison) et calculée sur la biomasse.

La densité seule des adventices est un mauvais prédicteur de la perte de rendement. La biomasse est par contre un bon prédicteur de la perte de rendement mais cette données est collectée trop tard (ex. floraison) pour agir si cela s'avère nécessaire.

L'équitabilité est maximale quand la biomasse des adventices est équitablement répartie entre les espèces. Ici, toutes les communautés sont composées de Vulpin des champs, Gaillet grateron, Stellaire intermédiaire, Véronique de Perse et à feuilles de lierre et de Pensée des champs, mais pas dans les mêmes proportions. Ainsi, les résultats montrent que quand l'équitabilité des adventices est élevée, la biomasse totale des adventices est faible, car le Vulpin, Gaillet etc. Connues pour être des mauvaises herbes compétitrices ne produisent ici pas plus de biomasse que les autres adventices. Ainsi, la compétition avec la culture est réduite et les pertes de rendement sont moindres.

Ces graphiques montrent que plus l'équitabilité est élevée et plus la biomasse de la culture est élevée mais aussi plus la biomasse d'adventices est faible.

Ce qu'il faut comprendre de cette étude c'est que les pertes de rendement importantes sont associées à la dominance d'une espèce très compétitive (faible équitabilité), et non pas une forte diversité d'adventices (équitabilité forte).

La compétition de plusieurs espèces assemblées en communauté sur une culture ne peut pas se résumer à la somme des compétitions individuelles de ces espèces observées en situation bi-spécifique (adventice/culture). Ces résultats nous rappellent ce que nous savons déjà : les seuils de nuisibilité (densité d'une espèce adventice/m² réduisant le rendement de 5%) n'ont pas de valeur générique, même s'ils permettent de classer les espèces.

Les chercheurs formulent plusieurs propositions :

  • Il faut élargir la connaissance des communautés d'adventices en créant des références propres à chaque culture
  • La gestion des adventices doit tenir compte de la diversité des communautés d'adventices, et des abondances relatives des espèces
  • Cette diversité d'adventices peut être favorisée en diversifiant les leviers de gestion à l'échelle du système de culture
  • Focaliser le désherbage uniquement sur les espèces les plus dominantes mais ce qui est difficilement compatible avec la majeure partie des stratégies de désherbage chimique à large spectre.
  • Mener des études dans d'autres régions et contextes floristiques.

Les chercheurs concluent que cette étude n'a quantifié que les pertes de rendement et que cette étude ne préconise pas de ne pas désherber, car agir ainsi est surement le meilleur moyen d'observer une espèce adventice dominer la communauté adventice sur le long-terme (parfois rapidement). Ils concluent néanmoins qu'une productivité élevée des cultures et une grande diversité adventice peuvent être atteintes simultanément dans les céréales d'hiver.

 

Sources :

Cordeau S., Munier-Jolain N., Adeux G. Les pertes de rendement sont atténuées en présence d'une diversité d'adventices. Innovations Agronomiques 81 (2020) 69-89

https://www6.inrae.fr/ciag/content/download/6871/49821/file/Vol81-5-Cordeau et al.pdf

 

https://www.cultivar.fr/sinformer/maintenir-une-diversite-dadventices-pour-minimiser-les-pertes-de-rendements