Des niveaux alarmants de pesticides mesurés dans les sols et les vers de terre

C'est la conclusion à laquelle sont arrivés des chercheurs de l'INRAE et du CNRS, emmenés par Celine Pelosi. Ces résultats ont été publiés en ligne fin septembre dans la revue « Agriculture, Ecosystems and Environment ».

L'étude a été menée au printemps 2016 dans la région de Chizé (Deux-Sèvres), sur les 450 km2 de la zone atelier Plaine & Val de Sèvre (CNRS & INRAE), une grande plaine céréalière dédiée à l'étude des interactions entre les activités agricoles et l'environnement.

Les auteurs ont analysé 180 échantillons de sol et 155 vers de terre, dont respectivement 60 et 52 issus de parcelles de céréales (les autres provenant de prairies et de haies) pour y rechercher la présence de 31 pesticides couramment utilisés (insecticides, fongicides et herbicides), dont 29 sont actuellement autorisés en agriculture (l'herbicide acetochlor et l'insecticide bifenthrine sont interdits depuis 2013).

La collecte de vers de terre s'est focalisée sur l'espèce Allolobophora chlorotica, bien représentée dans ce paysage et vivant à la surface du sol (espèce épi-endogé). Entre 0 et 10 spécimens ont été collectés par site (aucun ver trouvé sur 25 des 180 sites).

Prélèvement d'échantillon (photo Celine Pelosi)

 

Conclusion : la totalité des prélèvements analysés (sol et vers de terre) contiennent au moins une des substances recherchées, et 90 % contiennent un mélange d'au moins un insecticide, un fongicide et un herbicide. 27 des 31 molécules recherchées ont été retrouvées dans les sols et 18/31 dans les vers de terre. Il a été observé en moyenne 3,5 pesticides/ver de terre et 8,5 pesticides/échantillon de sol.

Les quatre substances les plus fréquemment retrouvées sont le diflufenican (un herbicide), l'imidaclopride (un insecticide néonicotinoïde) et deux fongicides, le boscalid et l'époxiconazole. Ces quatre pesticides ont été détectés simultanément dans plus de 80 % des sols analysés et l'imidaclopride a été retrouvé dans 79 % des échantillons de vers de terre.

Parmi les prélèvements, une partie a été effectuée dans des prairies et des haies adjacentes aux parcelles cultivées ainsi que dans des parcelles en agriculture biologique. Dans 43 % des parcelles gérées en agriculture biologique, il a été retrouvé plus de 9 pesticides différents dans les sols, montrant ainsi une contamination des milieux non traités. La contamination restait cependant bien plus élevée dans les parcelles gérées en agriculture conventionnelle (+89 % pour les fongicides, +68 % pour les herbicides et + 63 % pour les insecticides). Il en est de même pour la contamination des vers de terre.

Il a été observé une très forte concentration de ces substances actives dans les vers de terre prélevés dans les parcelles de céréales versus prairies : 3 fois plus par exemple pour l'imidaclopride et 72 fois plus pour le diflufenican.

Enfin les chercheurs ont évalué l'impact de cette exposition aux pesticides sur les vers de terre. Ainsi il a été mesuré un risque de toxicité pour 4 pesticides (imidaclopride, boscalid, époxiconazole et cypoconazole) dans 42 % des sols échantillonnés. Un risque négligeable ou faible a été détecté dans seulement 22 % des sols en considérant la toxicité des mélanges de pesticides détectés. Un risque de toxicité caractérisé d'élevé a également été observé dans les haies (37 %) et les céréales bio (43 %), mais très peu dans les prairies.

Le transfert des pesticides par l'air ou par l'eau de ruissellement reste à expliquer et cette situation pose clairement la question des mesures à mettre en place pour protéger les infrastructures agroécologiques (IAE) et les parcelles biologiques de ces traitements phytosanitaires.

La bioaccumulation des pesticides dans les vers de terre pose aussi la question de la contamination des chaines alimentaires et de la menace de certaines populations d'oiseaux (espèces consommatrices de vers de terre) mais aussi pour la survie et le maintien des populations de vers de terre.

Ces résultats montrent enfin qu'il est nécessaire d'étendre les recherches sur la toxicité des matières actives et de leur cocktail sur les vers de terre.

 

Source : C. Pelosi, C. Bertrand, G. Daniele, M. Coeurdassier, P. Benoit, S. N´elieu, F. Lafay, V. Bretagnolle, S. Gaba, E. Vulliet, C. Fritsch. 2020. Residues of currently used pesticides in soils and earthworms: A silent threat? « Agriculture, Ecosystems & Environment, ».